Soutenez

Réfugiés ukrainiens: la nouvelle politique canadienne va-t-elle s’étendre aux autres demandeurs d’asile?

Photo: Josie Desmarais / Métro
Adèle Garnier, Jamie Chai Yun Liew, et Shauna Labman - La Conversation

Le gouvernement fédéral a déjà fait part de son intention de créer une autorisation de voyage d’urgence pour les Ukrainiens souhaitant venir temporairement au Canada. Ainsi, tous les ressortissants ukrainiens qui fuient leur pays à cause de la guerre pourront faire une demande pour en bénéficier.


ANALYSE – En deux semaines, plus de 2,8 millions de personnes ont fui l’invasion russe de l’Ukraine.

La communauté ukrainienne au Canada est la 2ᵉ plus importante au monde. Nombre d’entre eux ont vécu la migration forcée.

Le Canada est connu comme une terre d’accueil pour les réfugiés: les Vietnamiens dans les années 1970, les Syriens et les Afghans plus récemment. Il est reconnu comme un leader mondial de la réinstallation de réfugiés. Mais la réponse canadienne au déplacement ukrainien se distingue de celles du passé.

Nous sommes trois chercheuses travaillant sur la question des réfugiés et de leur immigration au Canada. Je travaille sur les rapports de pouvoir en matière d’accueil des réfugiés au Québec et ailleurs, et mes co-autrices Jamie Chai Yun Liew est experte en droit d’asile et d’immigration et Shauna Labman, spécialiste du parrainage des réfugiés au Canada.

Nouvelles mesures d’admission

Le 24 février 2022, le jour de l’attaque russe contre l’Ukraine, le gouvernement de Justin Trudeau introduisait de nouvelles mesures de soutien à l’accueil des Ukrainiens.

L’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine permet à tous les ressortissants ukrainiens fuyant l’invasion russe de faire une demande d’admission au Canada pour une durée d’au moins deux ans. Le Canada procède également au traitement accéléré de réunification avec des membres de la famille immédiate de citoyens canadiens, prolonge le séjour des Ukrainiens au Canada et offre des permis de travail et d’études ouverts à ceux et celles qui ne peuvent pas retourner chez eux.

La communauté ukrainienne au Canada et les défenseurs des réfugiés se sont réjouis de ces mesures, mais ont aussi fait part de leurs craintes.

Les Ukrainiens qui demandent l’Autorisation de voyage d’urgence ont besoin d’un visa pour le Canada, alors que plusieurs pays d’Europe ont suspendu cette demande pour les Ukrainiens. Le Canada a pris des mesures pour augmenter sa capacité d’identification des Ukrainiens en Europe centrale, dans les pays où ils fuient. De nombreux frais d’obtention de documents de voyage sont aussi suspendus.

Cependant, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) est depuis longtemps aux prises avec des délais de traitement des dossiers d’immigration. Les nouvelles mesures soulèvent des inquiétudes quant à leur impact sur d’autres réfugiés en attente de réinstallation au Canada, en particulier les réfugiés afghans.

Sean Fraser, le ministre fédéral de l’immigration, a déclaré que le gouvernement du Canada «peut faire plus d’une chose à la fois». Selon lui, les délais d’admission des réfugiés afghans sont liés aux défis logistiques sur le terrain plutôt qu’à la longueur de traitement des dossiers d’immigration.

Il reste qu’IRCC a souligné les délais de traitements afin de justifier la modernisation technologique pour accélérer la prise de décision sur les dossiers d’immigration. Mais l’utilisation de l’intelligence artificielle pour traiter des demandes d’immigration pose des questions de discrimination et de racisme, comme on l’a vu dans le cas des étudiants d’Afrique francophone admis par le Québec, mais refusées par Ottawa.

Protection temporaire

L’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine est aussi différente d’opérations de réinstallation passées alors qu’elle n’offre qu’une protection temporaire.

De même, l’Union européenne (UE) a pour la première fois déclenché la mise en œuvre de la Directive sur la Protection Temporaire pour les personnes fuyant l’Ukraine.

La Directive de l’UE a été conçue pour des afflux massifs de personnes déplacées.

Elle met en place une protection d’un an au sein de l’UE avec une extension possible de deux ans. Les bénéficiaires de la protection temporaire ont accès aux procédures d’asile dans les pays membres de l’UE.

Le Canada met en place la protection temporaire pour « au moins » deux ans. Mais des questions demeurent sur le long terme. Si certains vont pouvoir s’établir de manière permanente à travers le parrainage familial, ce ne sont pas toutes les personnes qui font la demande pour l’Autorisation de voyage d’urgence qui ont de la famille au Canada. Il reste à voir si les Ukrainiens qui souhaitent s’établir au Canada trouveront d’autres voies d’admission permanentes, comme des visas permanents postdiplômes ou de travail.

Les exclus

Aussi bien les mesures du Canada que celles de l’UE posent la question du traitement inéquitable des personnes qui fuient la guerre. Les mesures canadiennes ne s’appliquent qu’aux ressortissants ukrainiens. Les mesures de l’UE incluent les ressortissants des pays tiers qui résidaient légalement en Ukraine avant l’invasion russe. Dans les deux cas, les personnes sans titre de séjour sont exclues.

En 2019, l’Organisation Internationale pour les Migrations estimait que jusqu’à 60 900 personnes sans titre de séjour résidaient en Ukraine, majoritairement des personnes originaires d’Asie du Sud et d’Afrique. L’absence d’options légales de protection ainsi que des témoignages de racisme et de discrimination vis-à-vis de ressortissants africains et indiens fuyant l’Ukraine montrent que ce n’est pas tout le monde qui a accès à la protection.

L’application des nouvelles mesures au Québec

Selon le ministre québécois de l’Immigration, Jean Boulet, il n’y a pas de limite au nombre de réfugiées ukrainiens que le Québec peut accueillir, et les Ukrainiens seront reçus dans leur langue. Notons cependant que le Québec a accueilli bien moins de réfugiés afghans jusqu’ici que d’autres provinces canadiennes.

Par ailleurs, le projet de Loi 96 sur le français comme langue officielle et commune du Québec prévoit que les services publics de la province communiqueront uniquement en français après six mois de présence au Québec. Des organismes de soutien aux réfugiés ont déploré cette mesure, qui constituerait un défi pour les réfugiés ukrainiens.

Le nouvel exode ukrainien ne fait que commencer, et à n’en pas douter, la réponse canadienne (et québécoise) va évoluer. Alors que nous défendons les droits des réfugiés, nous considérons que cette réponse devrait être plus inclusive. Les résidents de pays-tiers fuyant l’Ukraine devraient avoir accès à la protection du Canada. Par ailleurs, offrir une protection temporaire oblige les réfugiés à de nouvelles démarches souvent longues et complexes pour accéder à la protection permanente, et nous craignons que la protection temporaire ne remplace des programmes plus robustes de réinstallation et d’asile.

Adèle Garnier, Professeure adjointe, Département de géographie, Université Laval; Jamie Chai Yun Liew, Directrice de l’Institut d’études féministes et de genre et professeure agrégée, Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, et Shauna Labman, professeure agrégée en droits de la personne, Global College, Université de Winnipeg.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Inscrivez-vous à notre infolettre et recevez un résumé, dès 17h, de l’actualité de Montréal.

La Conversation

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.