Le Canada, moins sévère que ses alliés

Le Canada sanctionne moins d’oligarques russes que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Europe.

Selon la compilation de La Presse, le Canada sanctionne actuellement 14 oligarques russes multimilliardaires et acteurs économiques très importants en Russie. En guise de comparaison, en fonction des mêmes critères, les États-Unis en sanctionnent 16, l’Union européenne 19 et le Royaume-Uni 20.

La liste du Canada est presque identique à celle des États-Unis, à l’exception de deux oligarques qui ne sont pas sanctionnés chez nous : Suleiman Kerimov et Viktor Vekselberg (voir capsule). Ces deux oligarques sont aussi sanctionnés au Royaume-Uni.

Six oligarques russes faisant l’objet de sanctions en Europe et au Royaume-Uni ne sont pas sanctionnés au Canada ni aux États-Unis. Parmi eux, l’homme d’affaires le plus riche de Russie, Alexey Mordashov. Selon Forbes, M. Mordashov détenait une fortune de 29,1 milliards US en avril 2021, ce qui ferait de lui la 51e personne la plus riche au monde.

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L’oligarque Alexey Mordashov est la personne d’affaires la plus riche de Russie.

Ses principaux investissements sont dans l’entreprise d’aluminium Severstal. Il détient aussi environ 30 % de TUI Group, une entreprise mondiale de tourisme qui détient notamment 49 % du transporteur québécois Sunwing.

Le gouvernement Trudeau n’a pas voulu indiquer pourquoi le Canada ne sanctionne pas ces oligarques.

Le cabinet de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, précise que « toutes les options de mesures futures demeurent sur la table ». Il est possible que d’autres Russes fassent l’objet de sanctions.

« Nous croyons que notre ensemble de sanctions est parmi les plus forts au monde. Nous allons continuer de travailler avec nos alliés et nos partenaires internationaux, dont l’Union européenne, le Royaume-Uni et les États-Unis, pour nous assurer que nous sommes alignés et qu’il n’y a pas d’échappatoire », a indiqué par courriel le cabinet de la ministre Joly. Ottawa dit avoir, en collaboration avec ses alliés, « évalué les cibles potentielles qui auraient le plus d’impact sur le gouvernement russe et qui exerceraient une pression maximale sur le président Poutine ».

« Entente tacite » avec le régime

La professeure de droit Jennifer Quaid, de l’Université d’Ottawa, estime que « ce manque de cohérence n’est pas idéal ». « Dans la mesure où il y a une différence entre la liste de sanctions du Canada et celles de ses alliés les plus proches, on s’attendrait à une explication de la part du gouvernement », dit Mme Quaid, spécialiste du droit pénal des entreprises.

Le spécialiste du droit international public Vladyslav Lanovoy n’est pas étonné que le Royaume-Uni ait visé un plus grand nombre d’oligarques russes. Au fil des décennies, beaucoup d’entre eux ont élu domicile ou ont fait des investissements dans ce pays. « Il y a davantage de Russes liés au régime de Vladimir Poutine avec des actifs et des opérations commerciales au Royaume-Uni [qu’au Canada]. Ça pourrait expliquer le décalage [entre les listes] », dit le professeur de l’Université Laval.

Pourquoi les États occidentaux sanctionnent-ils ces ultrariches ? Pour faire pression sur la Russie. Et parce que les oligarques ont une « entente tacite » avec le régime de Vladimir Poutine, explique la professeure Jennifer Quaid. « Leur fortune [souvent liée aux ressources naturelles russes] dépend de leur adhésion et de leur non-ingérence par rapport aux actions du régime. Leur situation économique est attribuable en partie à leurs liens avec le régime et à leur comportement qui plaît au régime », dit-elle.

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Rencontre entre le président de la Russie, Vladimir Poutine, et l’oligarque Roman Abramovitch au Kremlin, en mai 2005

Au total, le Canada sanctionne environ 700 Russes et entreprises russes en lien avec la guerre en Ukraine. Il y a des entreprises, des politiciens, des militaires, des proches du régime Poutine, ainsi que des oligarques et des décideurs économiques. Ces sanctions sont décidées par le gouvernement du Canada.

Parmi les 14 oligarques et décideurs économiques qui sont actuellement sanctionnés par le Canada, on retrouve le plus connu d’entre tous, Roman Abramovitch (propriétaire du club de soccer de Chelsea), Gennady Timchenko, Alisher Usmanov, Andrei Skoch, Kirill Dmitriev (PDG du Fonds d’investissement de Russie), Igor Sechin (PDG de la société d’État Rosneft) et Alexeï Miller (PDG de la société énergétique Gazprom).

« Les sanctions sont l’un des outils à la disposition de notre gouvernement pour faire pression sur le régime russe et pour tenir responsables ceux qui, par leurs actes, ont permis cette invasion illégale et injustifiable », a indiqué par courriel le cabinet de la ministre Joly.

Quelques noms

Suleiman Kerimov*

Sanctionné aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe, il était avant la guerre en Ukraine la 10e fortune de Russie (fortune évaluée par Forbes à 15,8 milliards US en avril 2021). Il détient 76 % des actions du plus important producteur d’or de Russie, Polyus.

Viktor Vekselberg*

Né en Ukraine, sanctionné aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais pas en Europe, il s’est enrichi grâce à l’aluminium, notamment avec l’entreprise Rusal, l’un des plus importants producteurs d’aluminium au monde. Il serait la 19e fortune de Russie (fortune évaluée de 9 milliards US en avril 2021, selon Forbes).

Alexey Mordashov**

La personne la plus riche de Russie avec une fortune évaluée à 29,1 milliards US en avril 2021, selon Forbes.

Andrey Melnichenko**

Fortune de 17,9 milliards US en avril 2021, selon Forbes. Il contrôle l’entreprise de fertilisants Eurochem et l’entreprise de charbon SUEK.

Mikhail Fridman**

Fortune de 15,5 milliards US en avril 2021, selon Forbes. Il a cofondé Alfa Group, la banque la plus importante de Russie qui n’est pas contrôlée par l’État. Il vivrait à Londres.

German Khan**

Fortune de 10,1 milliards US en avril 2021, selon Forbes. Il a cofondé Alfa Group.

Viktor Rashnikov**

Fortune de 11,2 milliards US en avril 2021, selon Forbes. Il est actionnaire de contrôle de Magnitogorsk Iron & Steel Works, l’une des plus importantes entreprises d’aluminium au monde.

Pyotr Aven**

Fortune de 5,3 milliards US en avril 2021, selon Forbes. Ce financier est le principal dirigeant de l’Alfa Bank.

* Sanctionné ailleurs, mais pas au Canada
** Sanctionné en Europe et au Royaume-Uni, mais pas en Amérique du Nord