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Le juge sans-gêne nous coûte cher

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Le juge Gérard Dugré conteste sa destitution, décrétée par le Conseil canadien de la magistrature, devant la Cour fédérale.

Photo fournie par Parole de Droit

Le juge Gérard Dugré conteste sa destitution, décrétée par le Conseil canadien de la magistrature, devant la Cour fédérale.

Les contribuables canadiens ont déboursé jusqu’à maintenant 2,2 M$ en frais juridiques pour assurer la défense du juge Gérard Dugré, destitué pour ses commentaires outranciers et ses retards excessifs dans la rédaction de ses jugements. 

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Et la facture n’a pas fini de monter, puisque le juge Dugré a décidé de contester son congédiement devant la Cour fédérale.  

Le magistrat déchu continue en outre d’être payé à son plein salaire de 338 000 $ par année, même s’il ne siège plus depuis 2020 en raison des procédures devant le Conseil canadien de la magistrature. 

Selon des chiffres obtenus par notre Bureau d’enquête, Ottawa a dépensé 2,2 M$, divisés entre sept avocats issus de deux bureaux montréalais, afin que le juge Dugré puisse faire valoir sa défense au Conseil de la magistrature. 

Pour la Fédération canadienne des contribuables, il est temps que de telles dépenses soient contrôlées. 

« J’espère que c’est la dernière fois que les contribuables vont devoir assumer la contestation de la destitution d’un juge », a souligné son porte-parole, Nicolas Gagnon. 

« Je suis content de savoir qu’il y a un projet de loi pour mettre fin à cette pratique. Mais il n’y a rien d’acceptable dans tout ça », a-t-il ajouté.

  •  Écoutez la chronique de Gilles Proulx, chroniqueur au Journal de Montréal et Journal de Québec au micro de Richard Martineau sur QUB radio : 

De nombreuses plaintes

Les procédures contre le juge Dugré, qui siégeait à la Cour supérieure du Québec, à Montréal, ont duré plus de deux ans, avant que ce dernier ne soit destitué, en décembre dernier. 

Il avait fait l’objet d’une série de plaintes provenant du grand public et des milieux judiciaires. 

On lui reprochait entre autres son humour douteux, ses commentaires déplacés et ses retards à répétition dans la rédaction de ses jugements. 

Le montant pour les frais juridiques du juge Dugré que nous avons obtenu provient de documents publics et nous a été confirmé par le Commissariat à la magistrature fédérale, organisme responsable de payer les frais juridiques des juges nommés par Ottawa. 

Cour fédérale

Photo Pierre-Paul Poulin

La semaine dernière, le juge Dugré a déposé une requête en Cour fédérale pour faire annuler sa destitution. Le long document, qui fait près de 90 pages, est une véritable attaque en règle contre la décision du Conseil de la magistrature. 

S’il perd en Cour fédérale, le magistrat pourra s’adresser à la Cour d’appel fédérale, puis, le cas échéant, à la Cour suprême. 

Pas de pension de retraite

Le juge Dugré ne pourra toutefois pas toucher à sa pension de retraite, puisqu’il n’a pas complété le minimum requis de 15 années de service avant l’annonce de sa destitution. 

Un cas récent ressemble à celui du juge Dugré. Il s’agit du juge Michel Girouard, de la Cour supérieure du Québec, en Abitibi, destitué en 2018. Celui-ci a fini par démissionner après avoir porté sa cause sans succès jusqu’en Cour suprême, et juste avant que le Parlement canadien confirme sa destitution. Cette saga judiciaire avait coûté plus de quatre millions $ au trésor public. 

Malgré nos demandes, il a été impossible d’obtenir les commentaires du juge Dugré. 

DES PROCÉDURES QUI S’ÉTIRENT

  • 2018-2019 : Dépôt de sept plaintes distinctes contre le juge Dugré au Conseil canadien de la magistrature. 
  • Mars 2020 : Un comité d’enquête du Conseil de la magistrature obtient le mandat d’examiner les plaintes. 
  • Janvier 2021 : Début des audiences publiques du comité d’enquête. 
  • Juin 2022 : Publication du rapport du comité d’enquête qui recommande la destitution du juge Dugré. 
  • Décembre 2022 : Le Conseil de la magistrature confirme la destitution du juge Dugré. 
  • Janvier 2023 : Le juge Dugré décide de contester sa destitution devant la Cour fédérale. 

DES « PROPOS DOUTEUX »

Un échantillon de ses commentaires déplacés prononcés en plein tribunal :

Au cachot avec les rats !

« Vous pourriez être en outrage au tribunal. [...] Ça veut dire qu’on pourrait vous envoyer réfléchir quelques instants dans une cellule [...]. On en a deux sortes : une pour les dames, où il y a des petites souris qu’on ne nourrit pas. Puis, il y a les hommes, où il y a des rats [...] ; ils sont affamés. » 

« Conseils » à des parents qui se disputent

« Donnons [l’enfant] en adoption. Ça, c’est l’autre solution que je peux tenir. Je donne l’enfant en adoption. [...] Si les parents ne sont pas capables de s’en occuper, c’est l’autre [solution]. » 

« Mais la solution magique, je l’ai toujours. [...] C’est que j’ordonne aux parties de revenir ensemble, puis d’élever [l’enfant] jusqu’à tant qu’il ait 18 ans. Mais malheureusement, ce n’est pas une solution [...] qui est retenue par les parties. Moi, je la trouve fantastique. » 

Sa définition de l’alcoolisme

« Il y en a beaucoup qui prennent deux bouteilles de vin par jour, une le midi, une le soir, et [...] ils ne sont pas alcooliques du tout, parce qu’ils aiment le vin. [...] Mais le gars qui prend un verre de vin et devient totalement colérique [...], lui, il faut qu’il fasse attention, il ne peut pas toucher à ça. Il n’a pas le droit, parce qu’il vient totalement fou. Donc c’est ça, l’alcoolisme. » 

Une question surprenante

« Votre client n’est pas accusé d’agression sexuelle encore ? » 

Question posée à la blague par le juge Dugré à un avocat qui représente un fournisseur du festival Juste pour rire. Le juge fait référence au cas du fondateur du festival, Gilbert Rozon. 

Source : transcriptions fournies par le Conseil de la magistrature.

Un projet de loi pour corriger des lacunes

Un projet de loi sur le point d’être adopté par le Parlement canadien va permettre d’éviter, à l’avenir, que des sommes excessives soient dépensées lors du congédiement d’un juge nommé par Ottawa. 

Réclamée par le milieu juridique, cette nouvelle mouture de la Loi sur les juges, qui se trouve actuellement soumise pour approbation devant le Sénat, fera en sorte qu’un magistrat cessera d’obtenir son salaire aussitôt que sa destitution sera prononcée par le Conseil canadien de la magistrature. 

Les recours devant les tribunaux seront également limités, puisque seule la Cour suprême pourra se prononcer sur la destitution d’un juge. 

Actuellement, un magistrat déchu peut aussi s’adresser à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale pour contester son congédiement, comme c’est le cas avec le juge Gérard Dugré. 

Selon le doyen adjoint à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, Pierre Thibault, ces changements sont les bienvenus. 

Le bien de tous

« Pour le bien de tous, la nouvelle loi fera en sorte que les délais seront nettement réduits dans l’étude des plaintes contre les juges et aussi pour les suivis à donner aux décisions du Conseil de la magistrature », a-t-il souligné. 

Pour sa part, le directeur exécutif des nominations au Commissariat à la magistrature fédérale, Philippe Lacasse, confirme que la nouvelle loi vise à réduire les cas d’abus de procédure constatés chez certains juges dans le passé. 

« C’est l’objectif [de la nouvelle loi] », a-t-il expliqué.

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