La Défense nationale appelée à franciser ses noms de mission

Dans un rapport d’enquête final qu’il a récemment déposé, le commissaire aux langues officielles du Canada conclut que la Défense nationale enfreint  la Loi sur les langues officielles en ne traduisant pas le nom de ses opérations militaires en français.

La Défense nationale «n’a pas respecté ses obligations linguistiques» en nommant des opérations et des missions militaires uniquement en anglais. Le commissaire aux langues officielles du Canada demande au ministère de corriger le tir et de présenter leur nom dans les deux langues.


Les opérations OPEN SPIRIT, SNOWGOOSE, FOUNDATION et DRIFTNET, entre autres, devraient toutes être francisées selon le commissaire Raymond Théberge.

Dans un rapport d’enquête final qu’il a récemment déposé, M. Théberge conclut que le ministère enfreint carrément la Loi sur les langues officielles en ne traduisant pas le nom de ses opérations militaires en français.

«Les sièges des institutions fédérales, indépendamment de leur emplacement, doivent fournir aux membres du public toute information dans la langue officielle de leur choix. Pour ce faire, toutes les communications accessibles au grand public doivent être offertes simultanément dans les deux langues officielles», note le commissaire Théberge.

Une opération «honneur»?

Chantal Carey a déposé une plainte en mars 2021 après avoir constaté que les noms d’opérations en anglais n’avaient jamais de pendant francophone. À l’époque, l’opération HONOUR (HONNEUR, en français) l’avait particulièrement agacée.

« Je suis francophone et je trouve que c’est important que ma langue soit représentée dans les plus hautes instances au pays, comme à la Défense nationale», affirme Mme Carey, une Acadienne originaire du Nouveau-Brunswick qui a déposé de nombreuses plaintes au commissariat dans les dernières années.

Mme Carey ne se préoccupe pas seulement de la manière dont ces noms d’opération sont publiés sur le site Internet du ministère, mais sur les noms d’opérations, en général, qui ne sont pas traduits. Elle croit que ces missions devraient avoir des noms officiels en français.

«Le message que ça envoie, c’est que quand on va à la guerre, c’est en anglais que ça se passe», note-t-elle.

Dans son enquête, le commissaire a relevé que plusieurs noms d’opérations militaires du ministère étaient seulement en anglais sur son site Web.

Le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge

Selon le commissaire Raymond Théberge, «rien n’empêche» le ministère «d’indiquer que seuls les noms anglais agissent à titre officiel» sur son site web.

«Ce n’est pas le genre d’information qui touche, je pense, nos vies quotidiennes, mais ça demeure le ministère responsable de la défense du pays. Ça demeure une branche importante du gouvernement du Canada, un gouvernement bilingue», explique le titulaire de la Chaire de recherche sur le monde francophone, Droits et enjeux linguistiques à l’Université d’Ottawa, François Larocque.

La Défense nationale «encourage une culture du bilinguisme»

Dans un courriel envoyé au Droit, la Défense nationale affirme qu’«évidemment», elle est au courant de ses obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles.

«Nous encourageons une culture du bilinguisme où les employés du MDN et les militaires participent au renforcement de la capacité linguistique de l’organisation et à la création de milieux de travail propices à l’utilisation et au maintien des deux langues officielles», écrit le ministère.

Dans le cadre de l’enquête du Commissariat aux langues officielles, le ministère a néanmoins expliqué que les noms d’opérations étaient déterminés «selon les normes de l’OTAN afin de limiter les risques et la confusion».

«Le MDN a expliqué que les noms sont choisis de manière à dénoter l’intention stratégique de la mission et à assurer une compréhension universelle. Le MDN a ajouté qu’il n’est pas toujours possible de trouver un seul mot pour décrire une opération donnée et considère qu’avoir plusieurs noms de code pour la même opération pourrait accroître les risques et porter à confusion», peut-on lire dans le rapport du commissaire.

Le ministère a informé le commissariat durant son enquête qu’il a l’intention de continuer à nommer les opérations selon les normes de l’OTAN.

Or, il se trouve que la France, un pays membre de l’OTAN et dont la langue officielle est le français, participe à au moins une mission qui porte un nom uniquement en français.

Le 13 juillet 2022, par exemple, le ministère français des Armées annonçait que «la mission AIGLE a été déployée en urgence dans le cadre de la solidarité stratégique que la France a voulu afficher vis-à-vis de ses alliés de l’OTAN et de l’Europe» dans le cadre du conflit en Ukraine.

Selon le professeur François Larocque, il n’y a «rien qui détermine que l’anglais doit être la seule langue pour le nom des opérations» au Canada, même s’il s’agit d’une langue plus employée sur la scène internationale.

«Le Canada pourrait absolument avoir un pendant francophone. Il n’y a rien a priori qui exclurait, si comme la France l’a fait, que le Canada adopte des noms d’opération en français. Le problème, c’est que nous avons deux langues officielles et il faudrait toujours que ce soit dans les deux langues», explique M. Larocque.

Une nouvelle directive

En réponse au rapport préliminaire du Commissariat aux langues officielles l’année dernière, le ministère a dit avoir publié une nouvelle directive sur les conventions d’appellations des opérations des Forces armées canadiennes.

Cette directive exige entre autres que soit donné aux opérations internationales, continentales et nationales un surnom qui possède le « même sens et orthographe en français et en anglais. »

Pour les opérations portant un nom unilingue parce qu’elles relèvent d’une organisation qui ne doit pas se soumettre à la Loi sur les langues officielles, la directive exige une traduction du nom selon des critères définis.

Ce changement dans la directive était l’une des deux recommandations qu’a émises le commissaire Théberge dans son rapport préliminaire.

L’autre recommandation? «Réviser la liste des noms d’opérations militaires sur le site Web et prendre les mesures nécessaires afin que tous les noms soient dans les deux langues officielles.»

Et ça, la Défense nationale ne l’a pas encore mis en œuvre.