Menu Close
Photographie de Caroline Mulroney
Caroline Mulroney, ministre des Affaires francophones, en entrevue à Toronto, en février 2018. LA PRESSE CANADIENNE/Christopher Katsarov

À quand une loi sur l’épanouissement de la communauté franco-ontarienne ?

Longtemps attendue par la communauté franco-ontarienne, la proposition d’une nouvelle Loi sur les services en français (LSF) en Ontario a reçu la sanction royale en décembre 2021 après avoir été adoptée par l’Assemblée législative. La ministre aux Affaires francophones, Caroline Mulroney, qui s’était engagée à adopter une nouvelle LSF avant la fin de son mandat, a donc tenu sa promesse.

De brèves consultations auprès de la population ont eu lieu du 3 juin au 5 juillet 2021. Au même moment, reconnaissant que la Loi seule ne suffirait pas à accroître l’offre de services en français, la ministre Mulroney a adopté, en juin 2021, une stratégie pour améliorer l’offre de services en français. Un débat public avait aussi déjà eu lieu en 2016 pour profiter des 30 ans de l’adoption de la LSF afin d’en proposer une nouvelle.


Read more: L’Ontario modernise sa Loi sur les services en français : est-ce suffisant pour l'épanouissement de la minorité ?


Mes travaux portent sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire, notamment sur leur développement, leur gouvernance, la langue des services publics et l’effectivité des lois linguistiques.

Une révision de loi qui ne fait pas l’unanimité

Dans son rapport annuel de 2015-2016, intitulé « LSF 2.0 », le commissaire aux services français recommandait également de réviser la LSF et d’abolir la notion de régions désignées, en plus d’inclure la notion d’offre active dans une nouvelle LSF. L’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO) et l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) avaient d’ailleurs proposé leur propre version de la nouvelle LSF en 2020.

La version de la LSF ne satisfait pas toutes les demandes de l’AJEFO et l’AFO. Elles souhaitaient notamment que l’indépendance du poste de commissaire aux services en français soit rétablie et que l’ensemble du territoire de la province soit assujetti à la LSF, deux mesures absentes de la nouvelle mouture. Le manque de main-d’œuvre bilingue a motivé le gouvernement à ne pas étendre l’obligation d’offrir activement les services en français à l’ensemble de la province. Malgré tout, elles voient dans la nouvelle LSF adoptée une avancée importante pour la communauté francophone. Nous y retrouvons explicitement la notion d’offre active, ainsi que des mesures renforçant la reddition de compte des entités soumises à la LSF et un engagement de réviser la LSF aux dix ans.

L’importance d’offrir des services en français

Le chercheur en droit à l’Université d’Ottawa, François Larocque, se demandait récemment « si cette nouvelle loi contribuera à l’épanouissement de la francophonie ontarienne ».

Certes, l’accès à des services en français demeure essentiel, ne serait-ce que dans un souci d’égalité linguistique. Cependant, cet accès accru aux services publics en français, si tant est qu’il le soit, contribuera relativement peu à l’épanouissement d’une communauté.

Comme l’affirme le chercheur Rodrigue Landry, de l’Université de Moncton, reconnu dans le domaine de la vitalité linguistique, l’offre de services du gouvernement canadien contribue à accroître le statut de la langue dans la communauté, mais elle ne représente qu’une mince partie des vécus langagiers chez les individus.

La Loi sur les langues officielles du Canada (LLO) comporte une partie qui oblige le gouvernement à prendre des mesures positives pour appuyer le développement des communautés linguistiques en situation minoritaire et favoriser leur épanouissement. Le Plan d’action pour les langues officielles de 2018-2023 illustre bien la forme que peut prendre ce type d’engagement en investissant notamment dans le développement d’espaces et d’activités permettant aux membres des minorités de se rassembler. Il nous faudrait donc l’équivalent à la LSF pour espérer une réelle contribution à l’épanouissement de la communauté franco-ontarienne.

Cette idée était d'ailleurs présente dans la proposition d’une Loi visant à favoriser le maintien et l’épanouissement de la francophonie ontarienne qu’avait proposée un comité législatif formé dans le cadre du colloque de 2016 sur les 30 ans de la LSF, et présidé par François Larocque.

On demandait au gouvernement de s’engager à aller au-delà de l’offre de services en français :

L’Assemblée législative et le gouvernement de l’Ontario s’engagent à favoriser le maintien et l’épanouissement de la francophonie et à appuyer son développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français dans la société ontarienne.

Il incombe aux organismes gouvernementaux et aux institutions de la Législature de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement.

Or, le projet de Loi proposé par l’AFO et l’AJEFO en septembre 2020 n’a pas retenu cette section et s’est plutôt concentré sur des mesures visant à renforcer et à étendre à l’ensemble du territoire provincial l’offre active des services en français.

Aller au-delà de la langue de services

Pourtant, à travers ses investissements, le gouvernement ontarien peut appuyer le développement et favoriser l’épanouissement des communautés francophones. Il le fait déjà dans son budget de 2021, où une section porte sur le soutien des communautés francophones. Il s’engage à aider les organismes qui éprouvent des difficultés financières en temps de pandémie, à appuyer les entreprises franco-ontariennes, ainsi que les projets collaboratifs avec le Québec.

Plus globalement, dans l’ensemble de ses interventions et de ses investissements, il finance également des institutions francophones dans le domaine de la culture, de l’éducation, de la recherche, etc. Il serait important d’inscrire dans la LSF une obligation pour le gouvernement provincial de s’engager à appuyer le développement de la communauté franco-ontarienne.

En étant inscrite dans la LSF, cette obligation devrait conduire le gouvernement à employer un outil d’analyse différenciée selon la langue dans la conception et la mise en œuvre de ses programmes et dans ses investissements qui profitent aux communautés. Cela l’engagerait à protéger et à consolider les institutions de la communauté franco-ontarienne.

C’est le grand pas en avant que je souhaite pour la communauté franco-ontarienne lors de la prochaine révision de la LSF prévue dans 10 ans. Sans réduire l’importance de l’offre active de services en français, des énergies et des ressources doivent aussi être consacrées à des interventions qui ont des incidences importantes sur la vitalité des communautés. La communauté a une dizaine d’années pour imaginer la prochaine LSF, qui devrait d’ailleurs changer de nom, pour refléter les aspirations de la communauté, et pour sensibiliser leurs leaders à la nécessité de penser les droits et les obligations linguistiques au-delà de la langue de services.


Je remercie Stéphanie Chouinard qui a lu une version préliminaire de ce texte pour ses commentaires judicieux.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now