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Un juge payé 1,3 M$ pour rester chez lui

Gérard Dugré, dont le Conseil de la magistrature a recommandé la destitution, pourra aussi toucher une généreuse pension de retraite

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Un juge qui a touché plus de 1,3 M$ sans travailler depuis 4 ans et qui est menacé de destitution pourra quand même profiter d’une généreuse pension de retraite, a découvert notre Bureau d’enquête. 

Le juge de la Cour supérieure du Québec Gérard Dugré ne siège plus depuis septembre 2019, soit depuis que le Conseil canadien de la magistrature a ouvert une enquête le concernant. 

Cela n’a pas empêché le magistrat de continuer à percevoir son généreux salaire annuel qui est passé depuis de 338 000 à 383 700$, et ce, même après que le Conseil de la magistrature a recommandé sa destitution en décembre 2022, en raison de son attitude «agressive et désagréable», son humour douteux et ses retards à rendre des jugements (voir ci-bas). 

«L’inconduite du juge a tellement miné la confiance du public envers la magistrature qu’il est inapte à continuer à remplir ses fonctions de juge», a écrit à ce propos le Conseil l’an dernier. 

  • Écoutez la revue de presse commentée par Alexandre Dubé via QUB :
Une pleine retraite pour le juge

En janvier 2023, le magistrat déchu a décidé de contester cette décision, qui doit être entérinée par la Chambre des communes et le Sénat pour être effective. 

Puisque l’affaire s’étire encore à ce jour devant les tribunaux, Gérard Dugré a continué à accumuler les années d’ancienneté et peut profiter depuis le 22 janvier dernier d’un autre avantage financier de taille: sa pension à vie comme juge à la retraite, qui équivaut aux deux tiers de son salaire. 

S’il n’avait pas contesté sa destitution, le magistrat n’aurait pas atteint le minimum réglementaire de 15 années de service pour être admissible au régime de retraite des juges. 

Le juge Dugré évite aussi des changements apportés à la Loi sur les juges au printemps dernier; une fois la révocation d’un juge prononcée par le Conseil de la magistrature, celui-ci ne peut plus dorénavant accumuler d’ancienneté. 

Mais ces modifications sont survenues après le début du dossier Dugré et n’ont donc aucun impact sur lui. 

«ll semble bien que le juge Dugré soit l’un des derniers juges de nomination fédérale à faire l’objet d’une procédure de destitution en vertu des anciennes dispositions de la Loi selon lesquelles il continue de cumuler des années de service aux fins de son régime de pension», explique le doyen adjoint de la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa, Pierre Thibault. 

2,2 M$ pour sa défense

Le cas n’est pas sans rappeler celui du juge Michel Girouard, de la Cour supérieure du Québec en Abitibi, destitué en 2018 parce qu’il était soupçonné d’avoir acheté et consommé de la cocaïne d’un client lorsqu’il était avocat. 

Le juge Girouard avait contesté sa révocation jusqu’à la Cour suprême et avait pris sa retraite en 2021 avant que le Parlement canadien ne confirme sa destitution. 

Le cas du juge Dugré semble aussi s’étirer en longueur. «Le processus est indûment long, admet Pierre Thibault. Mais, au moins, c’est le dernier cas de ce genre».

S’ajoutent aussi les coûts pour la défense du juge Dugré. Notre Bureau d’enquête rapportait en janvier dernier que ses avocats avaient coûté 2,2 M$ aux contribuables, ce à quoi il faut ajouter les frais encourus au cours de la dernière année. Cela porte la facture de fonds publics à au moins 3,5 M$, incluant son salaire.

Au moment de publier ces lignes, nous n’avions pas eu de retour de l’avocate du juge Dugré. 

Un processus interminable

  • 2018-2019: Sept plaintes sont reçues contre le juge Dugré au Conseil canadien de la magistrature.
  • Septembre 2019: Un comité du Conseil de la magistrature démarre une enquête et examine les plaintes.
  • Juillet 2022: Le comité d’enquête recommande la destitution du juge Dugré.  
  • Décembre 2022: Le Conseil de la magistrature confirme la destitution du juge.
  • Janvier 2023: Le juge Dugré conteste sa destitution devant la Cour fédérale.

Les propos dérangeants du juge Dugré

Voici quelques exemples de propos reprochés au magistrat déchu.

Une question déplacée

«Votre client n’est pas accusé d’agression sexuelle encore?»

Question posée à la blague par le juge Dugré à un avocat qui représente un fournisseur du festival Juste pour rire. Le juge faisait référence au cas du fondateur du festival, Gilbert Rozon.

Sur l’alcoolisme

«Il y en a beaucoup qui prennent deux bouteilles de vin par jour, une le midi, une le soir, et [...] ils ne sont pas alcooliques du tout, parce qu’ils aiment le vin. [...] Mais le gars qui prend un verre de vin et devient totalement colérique [...], lui, il faut qu’il fasse attention, il ne peut pas toucher à ça. Il n’a pas le droit, parce qu’il vient totalement fou. Donc c’est ça, l’alcoolisme.» 

Les rats «affamés»

«Vous pourriez être en outrage au tribunal. [...] Ça veut dire qu’on pourrait vous envoyer réfléchir quelques instants dans une cellule [...]. On en a deux sortes: une pour les dames, où il y a des petites souris qu’on ne nourrit pas. Puis, il y a les hommes, où il y a des rats [...]; ils sont affamés.» 

«Donnons à l’adoption»

«Donnons [l’enfant] en adoption. Ça, c’est l’autre solution que je peux tenir. Je donne l’enfant en adoption. [...] Si les parents ne sont pas capables de s’en occuper, c’est l’autre [solution].» «Mais la solution magique, je l’ai toujours. [...] C’est que j’ordonne aux parties de revenir ensemble, puis d’élever [l’enfant] jusqu’à tant qu’il ait 18 ans. Mais malheureusement, ce n’est pas une solution [...] qui est retenue par les parties. Moi, je la trouve fantastique.»

Source: transcriptions fournies par le Conseil de la magistrature

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