La santé publique divisée sur la nécessité d’un plan européen de réduction des dommages liés au tabac

Les nouveaux produits du tabac sont devenus des alternatives à la cigarette traditionnelle. Pour défendre ces produits, certains se basent sur plusieurs études réalisées dans le monde entier et insistent sur le fait qu’ils sont beaucoup moins nocifs que la cigarette traditionnelle et qu’ils devraient être utilisés comme des moyens de réduire les dommages liés au tabac. [Shutterstock/Vershinin89]

Les acteurs du secteur de la santé publique sont divisés sur la nécessité de développer une stratégie européenne de réduction des dommages liés au tabagisme, responsable, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de près de 700 000 décès par an en Europe.

Les nouveaux produits du tabac sont devenus des alternatives à la cigarette traditionnelle. Pour défendre ces produits, certains se basent sur plusieurs études réalisées dans le monde entier et insistent sur le fait qu’ils sont beaucoup moins nocifs que la cigarette traditionnelle et qu’ils devraient être utilisés comme des moyens de réduire les dommages liés au tabac.

Toutefois, l’Union européenne, de même qu’une grande partie de la communauté scientifique, joue la carte de la prudence, en soulignant notamment l’absence de preuves concrètes de leurs effets sur le long terme.

« Porter sa ceinture de sécurité, c’est de la réduction des risques. On n’interdit pas aux gens d’utiliser leur voiture parce que cela comporte certains risques […] On n’élimine pas le risque, on le réduit », a confié à EURACTIV le Dr Konstantinos Farsalinos, chargé de recherche au Centre de chirurgie cardiaque Onassis en Grèce.

David Sweanor, avocat canadien et professeur à l’Université d’Ottawa, explique quant à lui que tout ce que l’on fait comporte un risque.

« Nous savons que le fait d’avoir des relations sexuelles avec un inconnu reste dangereux. Mais si vous prenez des précautions, vous pouvez réduire considérablement la probabilité de développer une maladie sexuellement transmissible », a-t-il déclaré.

M. Sweanor a déclaré que cela fait plus de 50 ans que nous sommes conscients que les fumer rend malade et tue, non pas à cause de la nicotine, qui est le produit recherché par les fumeurs, mais plutôt à cause de la façon dont ils la font pénétrer dans leurs poumons.

« Et nous savons qu’il existe des moyens de procurer de la nicotine qui sont acceptables pour les consommateurs et ne nécessitent pas une inhalation de fumée […] nous savons que nous pouvons réduire le risque de près de 99 %, simplement en passant à des produits sans combustion qui respectent certaines normes de base en matière d’ingrédients », a-t-il ajouté.

Cependant, Cornel Radu-Loghin, secrétaire général de l’European Network for Smoking and Tobacco Prevention (ENSP), n’est pas d’accord avec l’utilisation du terme « réduction des risques ».

« C’est comme lorsque vous décidez de ne pas tuer les gens par balle, mais avec dix couteaux. En fait, lorsque l’on parle du tabac, il s’agit juste de retarder les dommages, pas de les réduire », a-t-il déclaré.

M. Loghin a insisté sur le fait que, même s’ils sont moins nombreux aujourd’hui, les nouveaux produits du tabac restent nocifs.

« Au final, et on le voit bien, les nouveaux produits ne sont pas sur le marché pour aider les gens à arrêter le tabagisme traditionnel, les nouveaux produits sont là pour maintenir les affaires de l’industrie. »

« Et il est évident que beaucoup de fumeurs ont décidé de passer aux nouveaux produits et de les utiliser uniquement dans les endroits où ils ne peuvent pas utiliser les cigarettes traditionnelles. Donc, ils ont fini par utiliser les deux », a ajouté M. Loghin.

La Commission européenne suit la situation de près

Au niveau de l’UE, le plan de lutte contre le cancer (Beating Cancer) de la Commission a pour objectif une génération sans tabac d’ici 2040, et pour l’instant, tous les nouveaux produits du tabac ne figurent pas dans les plans de Bruxelles.

« La Commission est consciente du débat public en cours sur la réduction des dommages causés par le tabac. L’un des objectifs du pan européen de lutte contre le cancer de la Commission est de faire en sorte que moins de 5 % de la population consomme du tabac d’ici 2040 », a expliqué un fonctionnaire de l’exécutif européen à EURACTIV.

La Commission planche actuellement sur son évaluation de la directive sur les produits du tabac, qui réglemente, entre autres, les cigarettes électroniques, les contenants de recharge et les nouveaux produits du tabac.

« Toute évaluation scientifique concernant les produits nouveaux et en émergence à base de nicotine et de tabac sera soigneusement examinée », a poursuivi le fonctionnaire européen.

Il a néanmoins déclaré qu’il s’agissait d’exigences minimales et que ces évaluations devaient suivre les recommandations de l’OMS en la matière, notamment en s’appuyant uniquement sur des données provenant de sources indépendantes ou en analysant les risques de double usage avec les produits du tabac classiques.

« L’OMS met en évidence les défis liés à l’évaluation scientifique de ces produits (par exemple, la grande diversité des émissions, les interactions entre les dispositifs et le contenu, et les caractéristiques spécifiques entraînant des niveaux différents de nicotine et de substances toxiques), et ils devraient être pleinement pris en considération », a ajouté le fonctionnaire.

Pour sa part, le Dr Andrzej Fal, professeur de médecine polonais, estime que les décideurs demandent toujours plus de recherches mais ne veulent pas les financer.

« Ils disent que nous avons besoin de davantage de recherche, mais en même temps, ils ne financent aucune recherche en invoquant un coût élevé, et par conséquent, cette recherche provient finalement de l’industrie. Ensuite, ils disent que ce n’est pas fiable », indique M. Fal.

Selon lui, la seule façon de créer une société sans tabac est de commencer à éduquer les gens dès la naissance, puis à 18 ans, ils n’achèteront pas de cigarettes d’eux-mêmes.

« Dans 18 ou 20 ans, nous pourrons rêver d’une société sans tabac en Europe. Regardez la Norvège ou la Suède, qui a commencé à la fin des années 70 et qui compte aujourd’hui 5 à 7 % de fumeurs seulement. Mais cela leur a pris 40 ans », a-t-il déclaré.

Avant que nous atteignions ce niveau, il existe des solutions rapides telles que de nouveaux produits du tabac qui pourraient être introduits et utilisés rapidement pour aider les fumeurs, explique M. Fal. « En attendant, nous devons présenter quelque chose et décrire la réduction des risques », a-t-il conclu.

Une solution pour les « gros fumeurs » ?

L’eurodéputée de centre-droit Maria Spyraki a confié à EURACTIV que l’objectif devrait être double.

D’abord, il faut aider les « gros fumeurs » à se détourner du tabagisme traditionnel en leur proposant l’alternative des nouveaux produits du tabac, mais « l’accès à ces produits devrait se faire dans des conditions très strictes ».

« Vous devriez permettre aux gros fumeurs d’utiliser ces types de produits, mais cela ne signifie pas que c’est la solution », prévient-elle.

« Le deuxième objectif est de protéger les plus jeunes, afin de ne pas créer une nouvelle génération de fumeurs avec ces nouveaux produits », a-t-elle déclaré.

Interrogé sur le cas des gros fumeurs, M. Loghin, de l’ENSP, a répondu que les nouveaux produits du tabac pourraient être une solution pour les gros fumeurs si un médecin recommande leur utilisation.

« Mais encore une fois, en tant qu’organisation de santé publique, nous ne pouvons pas et ne voulons pas promouvoir les produits du tabac. La position de l’ENSP est claire : tout professionnel de la santé peut aider les fumeurs à arrêter de fumer de la manière qu’il considère être la meilleure pour eux », a-t-il conclu.

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