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Une constitution pour le Québec : une idée qui revient en force

Le Parlement à Québec la nuit.

L'idée que le Québec devrait se doter d'une constitution circule depuis des décennies (archives).

Photo : Radio-Canada / Daniel Coulombe

La volonté du gouvernement Legault de modifier unilatéralement la constitution canadienne pour y préciser que les Québécois forment une nation de langue française donne des idées à de nombreux constitutionnalistes. Plusieurs d’entre eux, venus témoigner en commission parlementaire ces dernières semaines, pressent le ministre Simon Jolin-Barrette d’aller au-delà des modifications proposées dans le projet de loi 96 et de doter le Québec d’une constitution en bonne et due forme.

Parmi les premiers appelés à témoigner en commission, le professeur de droit à l’Université d’Ottawa Benoît Pelletier estime qu’il y a une occasion à saisir.

C’est un pas dans la bonne direction, dit-il, en parlant du projet de loi présentement à l’étude. C’est un acte d’affirmation de la part de la nation québécoise, un acte d’affirmation unilatéral comme le serait l’adoption d’une constitution du Québec éventuellement.

M. Pelletier plaide pour l’adoption d’une constitution québécoise depuis longtemps; il évoquait déjà l’idée en 2001 dans un rapport produit pour le Parti libéral du Québec. Il a remis le sujet de l’avant à de nombreuses reprises depuis, y compris dans le livre intitulé Une certaine idée du Québec qu’il a fait paraître en 2010.

Benoît Pelletier parle, debout en chambre.

Benoît Pelletier a été ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes dans les années 2000 (archives).

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Dans l’esprit de Benoît Pelletier, un tel document existerait parallèlement aux textes constitutionnels canadiens; il reprendrait les grands principes de la loi 101 sur la langue française, de la loi 99 sur les droits fondamentaux du peuple québécois et de la Charte des droits et libertés de la personne.

D’autres grands principes pourraient aussi s’y retrouver, comme ceux de l’interculturalisme, de la laïcité de l’État, du développement durable, de l’intégrité territoriale du Québec et des droits des peuples autochtones.

Ça pourrait avoir un impact sur l’interprétation par les tribunaux des lois québécoises. D’ailleurs, il faudrait donner à cette constitution du Québec beaucoup d’autorité et la meilleure façon de le faire, ce serait de la soumettre à un référendum, expose Me Pelletier.

Large consensus chez les constitutionnalistes québécois

Au moins une demi-douzaine d’experts consultés dans le cadre de l’étude du projet de loi 96 se sont aussi montrés favorables à ce que le Québec ait sa propre constitution.

C’est le cas de Jean Leclair, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Je pense que pour le Québec se doter d’une constitution c’est une excellente idée qui a été avancée par des gens de toutes obédiences idéologiques, libérales, péquistes, et ça peut se faire même à l’intérieur de la fédération canadienne.

En fait, l’occasion n’a peut-être jamais été aussi bonne, selon lui, d’inscrire ce qui constitue les éléments les plus importants de ce qu’est le contrat social québécois alors que nos nombreuses normes constitutionnelles sont présentement perdues dans un paquet de lois.

Non seulement il s’agit pour lui d’un projet d’affirmation par et pour le Québec, mais cela s’inscrirait parfaitement dans la situation historique actuelle de la nation québécoise.

À son avis, c’est aussi l’occasion d’encadrer l’action des gouvernements tentés de traiter les normes constitutionnelles de façon cavalière, comme s’il s’agissait de simples lois — ce qu’il reproche particulièrement à François Legault.

Une idée qui ne date pas d’hier

L’idée de doter le Québec d’une constitution n’est pas nouvelle. En octobre 1967, le Comité des affaires constitutionnelles de la Fédération libérale du Québec, présidé par Paul-Gérin Lajoie, avait recommandé que le Québec élabore et adopte une constitution interne qui soit sa loi fondamentale.

Paul Gérin-Lajoie.

Paul Gérin-Lajoie (1920-2018)

Photo : Bibliothèque et archives nationales du Québec / Photo Gaby

Cette proposition s’inscrivait dans une plus vaste réforme du fédéralisme canadien que le comité appelait de ses vœux. On peut difficilement mettre en doute la nécessité de réunir dans un document strictement québécois les règles fondamentales devant régir l’organisation et le fonctionnement de l’État du Québec. Nous avons besoin d’un document ordonné et clair, indiquait le comité.

L’idée d’une constitution québécoise a refait surface dans les années 1990, dans la foulée du rejet de l’accord du lac Meech et de l’accord de Charlottetown, puis de l’échec référendaire de 1995.

En 2016, l’ex-premier ministre Jean Charest s’est montré ouvert à l’idée, affirmant qu’il y avait des arguments solides et rationnels [pouvant] être faits en faveur d’une bonne constitution provinciale écrite. Plus récemment, des membres du Parti libéral du Québec ont débattu du sujet lors d’une activité militante.

S’inspirer de ce qui se fait ailleurs

En fait, ce qui est le plus étonnant est peut-être le fait que le Québec n’a pas encore de constitution écrite, remarque le politologue Marc Chevrier, auteur de plusieurs ouvrages sur la question.

Tous les États américains ont leur constitution écrite, souvent adoptée par référendum ou à la suite d’une convention constitutionnelle […] les États allemands, les Länder, les cantons suisses, dans les fédérations d’Amérique latine, même en Australie qui a pourtant un parlementarisme britannique…

L’importance qu’a eue la question nationale explique peut-être ce retard, selon lui. Depuis les années 60, notre élite politique était absorbée soit par la recherche d’un nouveau statut au sein du Canada – le fédéralisme renouvelé – soit par l’indépendance. Faire une constitution du Québec dans le Canada paraissait un objectif second.

Que dit le projet de loi 96 au chapitre constitutionnel?

Le projet de loi présenté par le ministre Simon Jolin-Barrette prévoit l’ajout de deux articles au texte de la Loi constitutionnelle de 1867. Le premier affirme que les Québécois et les Québécoises forment une nation, tandis que le second précise que le français est la seule langue officielle du Québec. Il est aussi la langue commune de la nation québécoise.

Même si de nombreux constitutionnalistes sont d’avis que le gouvernement québécois a le pouvoir de modifier par lui-même le texte de la Loi constitutionnelle de 1867, d’autres ne partagent pas cette opinion.

Selon le professeur de droit à l’Université de Montréal Jean Leclair, dans une fédération comme le Canada, les provinces peuvent modifier leurs propres constitutions, et donc adopter des lois qui comportent des normes constitutionnelles, mais elles ne peuvent pas en revanche les inscrire dans le texte de la constitution du Canada.

Un peu plus haut, un peu plus loin

Le projet constitutionnel porté par le projet de loi 96 a suscité l’étonnement tant au Québec que dans le reste du Canada. Pour plusieurs observateurs, la manœuvre du ministre Simon Jolin-Barrette est à la fois originale et réaliste.

Mais pourquoi se contenter de si peu, demandent plusieurs experts. D’autres, tout en appuyant l’idée, n’en font pas une priorité, arguant qu’à l’instar du Royaume-Uni, le Québec dispose déjà d’une constitution – même si cette dernière n’est pas écrite – faite de règles non codifiées, de conventions, de coutumes et de jurisprudence.

Jean Leclair, lui, n’en doute pas : l’exercice actuel, c’est de se donner une constitution pour envoyer un message au Canada. Moi, ce que je dis, c’est qu’on devrait avoir une constitution pour soi, pour les Québécoises et les Québécois.

Là, le moment est venu pour le Québec de s’affirmer sans demander de permission, sans requérir l’accord ou le consentement des autres partenaires fédératifs, conclut Benoît Pelletier.

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