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Fédérales 2021

Un nombre record de femmes élues au Parlement. Et après?

Un nombre record de femmes élues au Parlement. Et après?

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Jamais autant de femmes n’ont été élues à la Chambre des communes. 103 députées siégeront dorénavant à Ottawa, mais au sein d’une députation toujours composée majoritairement d’hommes et encore bien loin de la parité.

« C’est relativement nouveau de voir autant de femmes à la Chambre des communes », rappelle la politologue Geneviève Tellier.

La première députée fédérale, Agnes Campbell Macphail, a été élue il y a 100 ans, en 1921. Elle a siégé seule à la Chambre des communes jusqu’à l’élection d’une deuxième femme, Martha Louise Black, en 1935. Il a toutefois fallu attendre des décennies plus tard pour que les femmes soient élues en plus grand nombre.

Cinq femmes de plus ont été élues en 2021 comparativement à 2019. Mais la composition de la Chambre des communes ne représente toujours pas la population canadienne, qui est composée à parts quasiment égales d’hommes et de femmes.

« Le fait d’être une femme en soi est intéressant en politique, parce qu’elle amène l’expérience d’être une femme, peu importe le milieu dans lequel elle a œuvré », explique la professeure en études politiques à l'Université d'Ottawa. C’est le même principe pour les élus autochtones ou issus de la diversité.

Les électeurs ne votent pas moins pour les femmes que pour les hommes. Mais dans l’atteinte de la parité, le travail reste vain s’il n’y a pas suffisamment de femmes qui se portent candidates.

Elles se sont d’ailleurs présentées en nombre record à cette 44e élection générale, mais elles restaient encore sous-représentées par rapport aux hommes.

Selon Geneviève Tellier, il y a deux façons d’améliorer les choses : imposer des quotas de représentation aux partis pour s’assurer qu’ils aient autant de femmes que d’hommes candidats ou faire davantage d’efforts de persuasion et de recrutement auprès des femmes.

« Au Canada, on a choisi la 2e option, souligne-t-elle. On n’est pas très enclin à mettre en place des quotas. » Un constat qu’a aussi fait Manon Tremblay.

« On est allergique à la notion de quotas au Canada. On aime plutôt parler de cibles à atteindre plutôt que de quotas. »

— Manon Tremblay, Université d’Ottawa

La professeure titulaire à l'École d'études politiques à l'Université d'Ottawa a consacré 30 ans de sa vie à étudier la place des femmes en politique et est l’auteure de plusieurs ouvrages sur la question.

« Ce n'est pas magique, ajoute-t-elle. Et l’élément qui reste, c’est la volonté des partis politiques d’avoir des femmes. » Selon elle, il ne suffit plus de se fier à leur « bonne volonté naturelle ».

Où en sont les partis?

En 2021, quatre des cinq principaux partis fédéraux ont augmenté leur nombre de candidates et rejoint la zone paritaire (au moins 40 %), mais seul le NPD a atteint, et même dépassé, la parité dans les candidatures.

Peu d’entre eux ont abordé la question de la représentativité des femmes en politique lors de la plus récente campagne électorale. Trois partis en font toutefois mention dans leur plateforme.

Le Bloc québécois est celui qui va le plus loin, en proposant d’instaurer « un remboursement plus élevé aux partis politiques qui font élire un nombre de femmes correspondant à la zone paritaire ».

Le Nouveau Parti démocratique suggère plutôt de s’attaquer aux « obstacles », en « réformant le système électoral et en présentant des mesures législatives pour encourager les partis politiques à présenter plus de candidates ».

Quant au Parti vert, il dit vouloir « soutenir » un plus grand engagement des femmes dans la vie politique « en préconisant que tous les partis politiques désignent, forment et soutiennent davantage de femmes et de candidats de sexe différent ».

Chose certaine, il y encore du travail à faire, notamment auprès des partis plus à droite, qui « sont moins enclins à mettre en place des règles » de recrutement, selon Geneviève Tellier.

« Cette aversion aux règles, de mettre en place des quotas, on la voit beaucoup plus chez les partis de droite. Alors que chez les partis de gauche ou de centre gauche, on est plus proactif quand vient le temps d’attirer les femmes en politique. »

— Geneviève Tellier, Université d’Ottawa

Et encore faut-il que les femmes partent à égalité avec les hommes. Notre précédente analyse avait par exemple démontré qu’elles étaient moins souvent nommées dans des châteaux forts et qu’elles recevaient moins d'argent de leurs organisations politiques.

« Le problème se situe vraiment plus au niveau de la sélection des candidats et des candidates, appuie le politologue Jean-François Godbout. C’est plus au sein des structures des partis », qui déterminent où se présentent leurs candidats.

Après l’élection, toutefois, les obstacles à la parité tombent à la Chambre des communes.

« Il y a une réelle volonté, surtout avec les libéraux au pouvoir, de ne pas limiter la présence des femmes dans les postes influents », constate le professeur titulaire au Département de science politique de l'Université de Montréal.

L’exemple du Cabinet

Le Cabinet ministériel fonctionne déjà, de manière non officielle, selon un principe de quotas.

Selon Manon Tremblay, les gouvernements cherchent dans un premier temps à bien représenter chacune des provinces du Canada dans leur Cabinet. Et la parité hommes-femmes parmi les ministres fait maintenant aussi partie des priorités.

« Justin Trudeau a mis la barre haute pour tous les gouvernements » en nommant un premier Cabinet paritaire au fédéral en 2015, estime Geneviève Tellier. « On en parlait beaucoup, mais on ne le faisait jamais. Il a démontré que c’était possible et ça se maintient depuis sept ans maintenant ».

Ce Cabinet paritaire a d’ailleurs permis aux femmes en politique fédérale de gagner, en moyenne, un salaire plus élevé que leurs collègues masculins, selon notre analyse.

Un salaire de base pour tous

À la Chambre des communes, tous les députés ont le même salaire de base, sans égard à leur genre ou à leur expérience, soit 185 800 $ par année.

Ils obtiennent une rémunération additionnelle en fonction des responsabilités qu’ils occupent, que ce soit au Conseil des ministres (+88 700 $) ou dans l’un des comités de la Chambre (+6400 $ à +45 900 $, selon le rôle occupé).

À la 43e législature, le Cabinet paritaire garantissait 18 postes ministériels, parmi les mieux rémunérés, à des femmes, leur permettant ainsi d’avoir un salaire moyen plus élevé, soit environ 207 000 $ par année, comparativement à 200 000 $ pour leurs collègues masculins.

Au total, 119 élus avaient des responsabilités supplémentaires, selon notre analyse, comparativement à 63 élues. En proportion toutefois, cela représentait 63 % des femmes, mais seulement la moitié des hommes, puisqu’ils siègent en plus grand nombre à la Chambre et sont donc moins nombreux à pouvoir jouer un rôle de plus.

Seule ombre au tableau : outre les postes de ministres, les autres responsabilités les mieux payées étaient généralement occupés par des hommes avant la dissolution et non par des femmes, comme les postes de premier ministre, de chefs de parti, de leaders et de whips au gouvernement ou dans l’opposition officielle.

Les postes de ministres et de secrétaires parlementaires sont choisis par le premier ministre. Quant aux chefs de parti, aux whips et aux présidents de caucus, ils sont choisis par chacun des partis selon leurs propres règles (qui ne nous sont pas connues).

Le président de la Chambre est pour sa part élu par les autres députés, tout comme les présidents et les vice-présidents des comités sont élus par les autres membres du comité.

« Il n’y a pas suffisamment de femmes élues pour être nommées, pour combler tous les postes de comités », explique Jean-François Godbout.

La parité n’est donc pas atteinte chez les secrétaires parlementaires, dont les postes étaient occupés par trois fois plus d’hommes que de femmes à la précédente législature. Il y avait aussi deux fois plus de présidents et de vice-présidents masculins aux comités permanents, spéciaux ou mixtes.

Avant le déclenchement des élections, si tous les rôles avaient été distribués en fonction de la parité, 94 % des femmes en auraient eu par rapport à 39 % des hommes.

La solution passe donc d’abord et avant tout, selon Jean-François Godbout, par l’élection d’un plus grand nombre de femmes pour que la Chambre puisse réellement refléter la composition de la population.

Des pistes de solution

À part les quotas, une des pistes de solution proposées par les experts est la réforme du mode de scrutin.

« Le système politique permet aussi de favoriser la présence ou non de femmes », explique Geneviève Tellier. Et les études sont sans équivoque à ce sujet, ajoute sa collègue à l’Université d’Ottawa, Manon Tremblay.

Le scrutin proportionnel, par exemple, facilite l’atteinte de la parité comparativement au scrutin uninominal majoritaire à un tour, en vigueur au Canada, où les élections se jouent par circonscription avec la majorité simple qui l’emporte.

« Pour qu’une femme remporte un siège supplémentaire, et pour qu’il y ait donc une femme de plus élue à la Chambre des communes, il faut qu’elle remplace un homme. Il faut que cet homme prenne sa retraite ou qu’il soit battu », renchérit Jean-François Godbout.

Or, le mode de scrutin proportionnel offre davantage de latitude. « Avec une liste électorale comme dans le système proportionnel, si vous avez remporté 45 % des voix, les 45 premiers noms sur votre liste électorale sont nommés au Parlement, donne pour exemple Geneviève Tellier. Et donc vous pouvez mettre des femmes au haut de la liste pour être sûr qu’il va y avoir des femmes en poste. »

Cette façon de faire a déjà fait ses preuves ailleurs, assure Manon Tremblay, qui a calculé la moyenne des femmes élues avec des modes de scrutin proportionnel, mixte et majoritaire.

« Pour le mode de scrutin proportionnel, c’était carrément le double en moyenne de femmes que dans les parlements majoritaires », avait-elle constaté à l’époque. Et ces résultats sont encore valides aujourd’hui, assure la chercheuse.

La politique, un milieu d’hommes?

Au-delà de tous les obstacles à la parité, un constat demeure, selon les experts.

« La politique, c’est un champ de bataille, affirme Manon Tremblay. Il faut aimer ça pour faire de la politique. »

« La politique reste un domaine masculin. Elle est formatée de telle façon à rejoindre davantage la socialisation masculine que féminine. Ce sont des réseaux, et il appert que les femmes restent encore à l’extérieur de bien des réseaux. »

— Manon Tremblay, Université d’Ottawa

« Le travail est difficile, concède Geneviève Tellier. Concilier la famille et le travail… et peut-être aussi la façon dont la joute politique se fait, en étant un peu plus combative. »

Et même après avoir réussi à se faire élire une première fois, restent-elles en politique? « Ça, il faut encore le documenter », affirme la politologue.

Notre analyse des candidatures aux élections fédérales depuis l’an 2000 semble toutefois indiquer qu’en moyenne 1 député sur 10 ne se représente pas, autant chez les hommes que chez les femmes.

Ce n’est pas surprenant, selon Manon Tremblay. Les femmes en politique, et les hommes aussi, rencontrent bien des difficultés, rappelle-t-elle.

« La critique est très acerbe, particulièrement dans les dernières années, déplore la chercheuse. Et les femmes ont toujours été victimes d’attaques à caractère sexuel. Elles vont être dénigrées sur leur physique, attaquées sur leur sexualité. Et ça, ça gruge. »

103 femmes siègeront à la Chambre des communes à la 44e législature. C’est trois députées de plus qu’à la dissolution, mais cinq de plus qu’à l’élection de 2019, puisque des femmes ont ensuite été élues lors d’élections partielles. Ces chiffres ont été ajustés après la publication en raison des dépouillements judiciaires. Nos analyses et visualisations se basent, sauf indication contraire, sur la députation au lendemain d’élections générales plutôt qu’à la dissolution.

Le nombre de candidatures aux élections fédérales provient de la base de données « Élections et candidats » de la Bibliothèque du Parlement. Celle-ci était toutefois incomplète, puisqu’aucun genre n’était précisé pour 57 candidats, principalement indépendants ou se présentant sous la bannière de plus petits partis. Des vérifications pour chacun de ces candidats nous ont permis de les recatégoriser selon leur genre.

Le salaire des députés a été calculé en fonction des rôles qu’ils occupaient avant la dissolution de la Chambre des communes. Il s’agit d’une rémunération théorique, calculée à partir de la base de données « Indemnités, salaires et allocations » de la Bibliothèque du Parlement pour l’année 2021 et croisée avec les responsabilités associées à chacun des élus sur le site Internet de la Chambre des communes. Il n’est pas possible de déterminer le salaire effectivement versé à chacun des élus, puisque plusieurs d’entre eux ont, par exemple, versé l’augmentation salariale reçue en 2021 à une œuvre de charité ou à un organisme communautaire et que l’année fiscale a été interrompue par l’élection fédérale. La démonstration demeure malgré tout valide.

Nous avons aussi croisé la base de données « Les femmes en politique » de l’OCDE avec celle de Parline UIP sur les Parlements nationaux afin d’illustrer comment le mode de scrutin influence la représentativité des femmes au sein des députations. La base de données « Députés sortants qui ne sont pas candidats à l'élection générale suivante » de la Bibliothèque du Parlement a aussi été croisée avec celle des « Élections et candidats » afin d’obtenir leur genre.

Le 22 septembre à 9 h 45, nous avons remplacé cette phrase « Les femmes ont désormais autant de chances que les hommes d'être élues » par « Les électeurs ne votent pas moins pour les femmes que pour les hommes ».

Daniel Blanchette Pelletier journaliste, Charlie Debons-Ricard designer, Melanie Julien chef de pupitre, Mathieu St-Laurent développeur et Martine Roy coordonnatrice