Tuerie en N.-É.: l’officier de la GRC responsable le samedi soir témoigne à huis clos

Pour des raisons non précisées par la commission, le sergent d’état-major Brian Rehill a été autorisé à témoigner de façon virtuelle, et son témoignage sera enregistré puis rendu public à une date ultérieure.

L’officier de la Gendarmerie royale du Canada qui était responsable des opérations aux premières heures de la tuerie de 2020 en Nouvelle-Écosse témoigne lundi devant la commission d’enquête publique. Mais le public ne pourra pas entendre ce qu’il a à dire —  pas maintenant, du moins.


Pour des raisons non précisées par la commission, le sergent d’état-major Brian Rehill a été autorisé à témoigner de façon virtuelle, et son témoignage sera enregistré puis rendu public à une date ultérieure. De plus, M. Rehill n’aura pas à subir le contre-interrogatoire des avocats qui représentent les proches des 22 personnes tuées les 18 et 19 avril 2020.

Cette décision avait incité la plupart des familles à boycotter les travaux de la commission la semaine dernière, et certaines ont même manifesté devant la salle d’audience à Truro.

Certains croient que l’impact de cet accommodement accordé au policier sera sans précédent pour une enquête publique de cette envergure. Ed Ratushny, professeur émérite à l’Université d’Ottawa et auteur en 2009 d’un essai sur «la conduite des enquêtes publiques», croit que la commission devrait adhérer au principe juridique de «l’équité», qui stipule que les tribunaux administratifs doivent permettre aux participants de «tester les preuves (...) par des interrogatoires vigoureux».

Un deuxième officier de la GRC, le sergent Andy O’Brien, a obtenu de la commission les mêmes accommodements que M. Rehill. Il devrait témoigner lui aussi à huis clos, mardi.

Les avocats participants, y compris ceux qui représentent les familles des victimes, ont été invités à soumettre des questions à poser à MM. Rehill et O’Brien, mais il appartiendra à la commission de décider lesquelles seront effectivement posées aux témoins. Une fois la première série de questions terminée, on demandera aux avocats participants s’ils ont d’autres questions.

La commission a expliqué sa décision vendredi dernier dans un communiqué. «Compte tenu des informations sur la santé (qui nous ont été) données, permettre aux témoins de fournir des preuves de cette manière réduira le stress et les contraintes de temps qui découlent de la déposition orale dans le cadre d’une procédure en direct, ont indiqué les commissaires. Ce format facilitera le témoignage et fournira donc des preuves claires.»

La commission a expliqué que les motifs de ces arrangements spéciaux doivent rester confidentiels, car sa décision est basée sur des renseignements personnels privés, tels que des besoins de santé physique ou psychologique.

Dans un entretien antérieur avec des avocats de la commission, M. Rehill a confirmé qu’il avait été en arrêt de travail pendant 16 mois après la tragédie, et qu’il avait du mal à répondre aux questions sur les décisions qu’il avait prises.

«Faire face à des questions difficiles»

Pour certains proches des victimes, la commission n’aurait jamais dû offrir aux deux policiers une dispense de contre-interrogatoire. «Si les officiers qui étaient en charge  ne peuvent pas se présenter à la barre et défendre les décisions qu’ils ont prises, alors il y a quelque chose qui ne va pas dans tout ce processus», déclarait jeudi dernier Charlene Bagley, lors de la manifestation de Truro. Son père, Tom, a été abattu par le tireur tôt le dimanche matin du 19 avril 2020, alors qu’il se promenait à West Wentworth.

«C’est facile de s’asseoir là et de raconter l’histoire qu’on vous a dit de raconter, a-t-elle dit. Il est beaucoup plus difficile de faire face à des questions difficiles. La vérité fait mal, mais nous en avons besoin.»

L’avocat néo-écossais Adam Rodgers, qui a analysé les progrès de l’enquête sur son blogue, admet que ce genre de colère est justifié. «Les participants ont été marginalisés tout au long de la procédure, et l’impossibilité de contre-interroger efficacement les témoins est au cœur de cette marginalisation», a estimé Me Rodgers dans un courriel.

Le 19 mai, la GRC de la Nouvelle-Écosse a publié une déclaration indiquant que l’enquête enfreindrait ses propres règles si des policiers qui ont subi un traumatisme étaient appelés à témoigner sans aucune forme d’accommodement. Le mandat de la commission l’oblige à être «respectueuse des traumatismes subis» par les «personnes les plus directement touchées».

L’avocat torontois John Mather, qui a déjà été procureur au sein de commissions d’enquête, estime que les commissaires dans ce cas-ci ont été confrontés à un défi, car ils ne peuvent pas révéler pour quels motifs les officiers Rehill et O’Brien ont obtenu un statut spécial. Mais selon lui, l’impact des aménagements spéciaux ne sera pas connu avant que la commission ne soumette son rapport final, le 1er novembre.

Le soir du 18 avril 2020, le sergent d’état-major Rehill était le «gestionnaire des risques» au centre de communications opérationnelles de la GRC à Truro. Lorsque le centre a reçu des appels au 911 confirmant qu’un tireur actif était en liberté à Portapique, il a immédiatement pris le commandement des opérations.

Le sergent O’Brien n’était pas en service ce soir-là et il avait consommé quatre à cinq verres de rhum à la maison, mais il a récupéré sa radio portable du détachement - avec l’aide de sa femme - et il s’est joint au commandement.

L’enquête a appris qu’il y a eu confusion sur le véritable responsable ce soir-là. La commissaire Leanne Fitch, ancienne cheffe de police de Fredericton, a déclaré que les témoignages avaient révélé un problème considérable de communications.