De nombreuses affirmations sur l'éducation sexuelle et le genre ont circulé sur les réseaux sociaux et dans les récentes manifestations. Source: Canva

Difficile d’aborder l’identité de genre et l’éducation sexuelle sans basculer dans un débat clivant en Ontario. La question a atteint son paroxysme le 20 septembre dernier, dans des manifestations qui ont embrasé le Canada et dans lesquelles plusieurs affirmations ont circulé. Trois experts les battent en brèche. 

Exposer un enfant au concept d’identité est l’influencer dans ses décisions…

Un des aprioris les plus relayés dans les récentes manifestations est que le fait que d’exposer un enfant au concept d’identité de genre pourrait l’influencer et lui faire prendre des décisions à risque.

Selon Mona Paré, professeure et vice-doyenne aux études supérieures à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, sensibiliser les enfants à un tel concept leur permet au contraire de comprendre la diversité et de favoriser l’acceptation des autres avec leurs différences.

« C’est important, dit-elle, pour combattre l’intimidation et de faire des écoles des espaces sûrs pour les enfants. Cela leur permet aussi de mieux s’accepter eux-mêmes, de passer librement par leurs processus de développement et ainsi avoir une meilleure santé mentale. L’éducation au respect de son identité et de celle des autres ne mène pas à des traitements médicaux. »

«  Les identités de genre ne s’attrapent pas! », renchérit la responsable du programme jeunesse à FrancoQueer, Anne-Sophie Ruest-Paquette. « Ni au contact d’une personne trans, non binaire ou non conforme dans le genre ni lors d’un cours sur le concept d’identité de genre.  » Et de rappeler que, dès l’âge de trois ans, les enfants sont conscients des codes genrés binaires, fille ou garçon. On observe chez certains d’entre eux, une dysphorie de genre (détresse liée au décalage entre l’identité de genre assignée et celle ressentie).

«  Les enfants cisgenres ne souffrent pas de ce processus, car iels s’alignent avec les codes normatifs. Les enfants trans, non binaires et non conformes dans le genre peuvent, au contraire, en souffrir, surtout lorsque l’émergence de leur identité de genre ressentie est contrainte ou opprimée par sa famille et son entourage.  »

Tous les jeunes méritent de voir leur vie reconnue à l’école, ajoute la juriste transféminine et bioéthicienne Florence Ashley. « Nier l’existence des jeunes trans, c’est comme nier l’existence des jeunes gais, lesbiennes, ou bisexuelles. Ça ne les empêche pas d’exister, ça ne fait que leur envoyer le message que leur existence n’est pas la bienvenue et ça, il n’y a rien de pire pour le bien-être et le sain développement. »

Les mineurs sont trop jeunes pour prendre des décisions concernant leur genre…

Une autre idée répandue, et sur laquelle nombre de parents s’interrogent, est que les mineurs seraient trop jeunes pour prendre des décisions concernant leur genre.

Rejeter l’identité de genre des jeunes au motif que c’est trop jeune pour prendre une décision, ça peut avoir un effet nocif sérieux parce que ça enseigne aux jeunes que leurs besoins et connaissances de soi ne méritent pas d’être écoutés, affirme au contraire Florence Ashley.

Florence Ashley, juriste transféminine et bioéthicienne, professeure adjointe, Faculté de Droit, Université de l’Alberta. Gracieuseté

« Au Canada, les enfants ont des droits », complète Anne-Sophie Ruest-Paquette. « Il est fortement recommandé de consulter les enfants dans la prise de décisions concernant leur corps et leur santé. »

Mona Paré prend d’ailleurs pour référence la Convention des droits de l’enfant qui stipule que les parents doivent donner à l’enfant, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils à l’exercice des droits de l’enfant.

Les enfants ont accès à des traitements aux hormones et opérations d’affirmation de genre…

D’autres voix massivement partagées allèguent que les enfants ont accès à des traitements aux hormones et opérations d’affirmation de genre. Or, les enfants prépubères ne sont pas éligibles aux traitements hormonaux ni chirurgicaux. Cela requiert un diagnostic officiel de dysphorie de genre (détresse marquée et soutenue) émis par un médecin agréé.

« En Ontario, les jeunes n’ont pas besoin du consentement de leurs parents ou personnes tutrices pour obtenir des soins hormonaux », indique Anne-Sophie Ruest-Paquette. Pour ce qui est des chirurgies d’affirmation de genre, elles sont uniquement accessibles aux personnes de 18 ans et plus. Par contre, la masculinisation du torse peut être autorisée à partir de 16 ans, avec le consentement parental.

« Les premiers traitements offerts sont les bloqueurs de puberté, qui ne font rien avant les développements pubertaires et donc le début de l’adolescence, précise Florence Ashley. Ceux-ci permettent d’éviter une puberté qui crée de la détresse et, dans certains cas, évitent le besoin de certaines chirurgies visant à renverser des changements occasionnés par la puberté. »

Les écoles mettent à la disposition des élèves du matériel sexuel explicite et pornographique…

« C’est faux », rétorque Mona Paré. « On enseigne la reproduction de manière scientifique. Cela peut et devrait être explicite. »

« Il suffit de consulter le Programme de la maternelle et du jardin d’enfants et le Curriculum de l’Ontario en éducation physique et santé des paliers élémentaire et secondaire pour savoir que cette affirmation est mensongère, les domaines concernés n’ayant rien d’obscène. Au contraire, les informations transmises sont factuelles, basées sur des données probantes, adaptées au groupe », avance de son côté Anne-Sophie Ruest-Paquette.

On enseigne l’éducation sexuelle aussi tôt que la maternelle…

À ceux qui scandent qu’on enseigne l’éducation sexuelle aussi tôt que la maternelle, Anne-Sophie Ruest-Paquette répond qu’il n’y a aucun contenu sur la santé sexuelle dans le programme de la maternelle et du jardin d’enfants. À l’élémentaire, ils apprennent le nom exact des parties du corps, y compris génitales. 

«  Lorsque les enfants savent comment prendre soin de leur corps et nommer les parties du corps, ils peuvent mieux se comprendre et se respecter et communiquer clairement ou demander de l’aide en cas de maladie, de blessure ou de mauvais traitements  », décrypte l’experte. 

Anne-Sophie Ruest-Paquette, responsable du programme jeunesse chez FrancoQueer. Gracieuseté

Les années suivantes, ils étudient la façon dont le corps change, le concept de consentement, l’intimidation, le respect de la différence et la puberté. Enfin, la reproduction, l’influence des stéréotypes et la santé sexuelle interviennent après la 5ᵉ année. L’identité de genre en 8ᵉ année.

«  Les parents ont le droit d’exempter leurs enfants de l’enseignement relatif au sujet – du cursus – Développement de la personne et santé sexuelle (palier élémentaire), nuance Anne-Sophie Ruest-Paquette. Il y a donc des limites, en Ontario, au droit des enfants du palier élémentaire à l’éducation. »

L’éducation sexuelle à l’école sexualise les jeunes et encourage la pédophilie…

Non, répond Florence Ashley qui prend le contre-pied de ce préjugé : « Tout au contraire, l’éducation sexuelle aide les jeunes à reconnaître les comportements inappropriés provenant des adultes ce qui est crucial à la lutte contre les violences sexuelles envers les jeunes. Le consensus en la matière suggère que l’éducation sexuelle protège contre les violences sexuelles, alors que les approches visant l’abstinence, primées dans le sud des États-Unis, créent une culture d’ignorance et de honte qui cache et facilite les violences sexuelles. »

La recherche démontre qu’il s’agit d’une fausse croyance, abonde Anne-Sophie Ruest-Paquette car, au contraire, une éducation complète à la sexualité apprend à « mieux connaître, comprendre et soigner son corps, à développer son intelligence émotionnelle, à établir et maintenir des relations platoniques et amoureuses saines et équilibrées basées sur le consentement. »

Les écoles manquent de transparence sur leurs politiques d’identité de genre…

Les conseils scolaires et établissements scolaires appliquent la politique provinciale en la matière, rappelle Mona Paré. Ces directives sont accessibles en ligne. « Pour l’instant, en Ontario, les écoles sont considérées comme des lieux sûrs pour les élèves. Les élèves peuvent utiliser les noms et pronoms qu’ils veulent. La plupart du temps, les parents sont au courant et, bien entendu, c’est mieux ainsi. Il faut encourager les discussions ouvertes et respectueuses entre parents et enfants. Dans certains cas, les parents peuvent être contre ces changements chez leur enfant et la relation entre enfant et parents peut en pâtir. »

Mona Paré, professeure et vice-doyenne aux études supérieures à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Gracieuseté

« Quand les écoles respectent le droit à la confidentialité des élèves 2SLGBTQIA+, elles le font conformément à leurs obligations légales, pour protéger la sécurité des enfants, et non par manque de transparence », clarifie Anne-Sophie Ruest-Paquette.

Le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires stipule d’ailleurs qu’« il ne faut pas « dévoiler l’identité de genre » d’un enfant ou d’un jeune sans sa permission ».

Dans plusieurs cas, les écoles doivent aussi faire attention au risque que peut poser informer des parents, sensibilise Florence Ashley : « Les études démontrent que beaucoup de parents réagissent négativement au coming out de leur enfant trans et que, dans trop de cas, cela mène les parents à mettre dehors leur enfant, à commettre des violences physiques, sexuelles, et émotionnelles, et/ou à envoyer l’enfant à une thérapie de conversion. Ce sont des conséquences potentiellement très graves et c’est donc normal qu’on donne aux écoles certaines marges de discrétion. »