Vous avez l’impression que l’économie canadienne est dirigée par de puissants oligopoles qui vous font payer plus cher vos services bancaires, vos billets d’avion et vos forfaits sans fil ? Ce n’est pas le plus récent rapport publié jeudi par le Bureau de la concurrence qui vous convaincra du contraire.

L’analyse conclut que l’intensité concurrentielle a diminué au pays depuis 20 ans. Conséquence : les consommateurs en ont moins pour leur argent. Dans le détail, consommateurs et entreprises ont moins eu accès à de bas prix et ont souffert du choix moindre de biens et services, notamment de produits novateurs.

En analysant l’« intensité concurrentielle », l’organisme fédéral chargé de l’application de la Loi sur la concurrence évalue dans quelle mesure les entreprises doivent travailler pour acquérir un avantage par rapport à leurs concurrents.

L’étude repose sur des données de Statistique Canada et sur l’analyse de l’équipe du professeur de l’Université de Toronto Matthew Osborne.

Le rapport se contente de donner un aperçu général de la situation, sans identifier les industries les moins concurrentielles du pays.

Moderniser la loi

Jennifer Quaid, professeure agrégée et vice-doyenne à la recherche de la section de droit civil de l’Université d’Ottawa, ne s’en formalise pas. Selon elle, le rapport a le mérite de donner un premier aperçu de l’état des lieux avec des données canadiennes, ce qui est rare. La période observée, 2000 à 2020, correspond à la transformation numérique de l’économie, souligne-t-elle.

« Le rapport s’inscrit dans un objectif de vouloir faire l’argumentaire au soutien de cette réforme de la Loi sur la concurrence plus importante qu’on attend toujours et pour laquelle il y a eu une consultation publique plus tôt cette année, dit-elle. Le rapport donne le portrait et met en lumière ce qui devrait nous interpeller en vue de moderniser la loi. »

Parmi les faits saillants du rapport, ses auteurs ont constaté que le manque de concurrence avait débouché sur une amélioration des marges et des profits chez les entreprises, notamment celles évoluant dans les industries qui affichaient déjà les bénéfices les plus élevés.

De 2002 à 2018, la marge moyenne a augmenté de 6,7 % dans l’économie en général. La hausse est plus élevée pour les industries les plus rentables, à 12 %.

Des profits en hausse

Les profits ont suivi la même tendance. Le Bureau a retenu comme mesure le rapport entre les bénéfices avant intérêt et impôt (BAII) et les ventes. Dans l’ensemble des industries, les profits ont crû de 3,5 % en 20 ans. La hausse passe à 8,5 % pour le premier décile supérieur (les 10 % des industries les plus profitables).

Selon la théorie économique, les profits auraient tendance à diminuer dans une économie concurrentielle.

Or, la réalité observée par le Bureau est tout autre. « Lorsque les coûts augmentent, il est moins probable que les sociétés fassent face à des pressions en vue de maintenir des prix bas. Plutôt, elles peuvent transférer l’augmentation des coûts à leurs clients. Cela correspond avec l’augmentation générale de la marge et des profits que nous avons également observée au cours de cette période et pointe vers une réduction de l’intensité concurrentielle. »

Appelé à commenter les conclusions du rapport, le professeur de droit Benjamin Lehaire de l’Université TÉLUQ n’est nullement surpris de son contenu.

Le rapport parle des taux d’entrée et de sortie [des acteurs économiques]. C’est sûr que si on n’a pas de nouveaux joueurs qui entrent sur le marché, la concentration va toujours rester la même. Et ça joue sur les prix, évidemment. Ce que ça nous dit, c’est que ce n’est pas demain la veille qu’on va avoir un nouveau joueur dans le domaine de l’épicerie, par exemple. C’est assez préoccupant pour les consommateurs.

Benjamin Lehaire, professeur de droit de l’Université TÉLUQ

Pour l’universitaire, les conclusions du rapport incitent à l’action. « En résumé, il met la table à des réformes. Il vient dire : oui, on a un problème de concurrence au Canada. Il est temps de passer à l’action. Ça donne du poids au Bureau de la concurrence. »

« C’est important pour les entreprises qu’elles sachent qu’elles peuvent être contestées quand elles sont en situation de dominance par de nouveaux joueurs, qu’elles sachent que si elles font des ententes avec d’autres entreprises pour élever les prix, elles seront sanctionnées », explique-t-il, avant d’insister sur l’importance de donner plus de pouvoirs au Bureau de la concurrence dans le cadre de cette réforme.

L’histoire jusqu’ici

Le 18 septembre 2023, l’inflation pousse le gouvernement canadien à convoquer les grands distributeurs alimentaires à Ottawa.

Le 21 septembre, Ottawa dépose le projet de loi C-56 qui modifie la Loi sur la concurrence. La faiblesse de la concurrence facilite la hausse des prix par les entreprises. Le ministre responsable François-Philippe Champagne promet d’autres actions.

Le 5 octobre, un sommet sur la concurrence se tient à Ottawa.

Le 19 octobre, le Bureau de la concurrence dévoile un rapport montrant que la concurrence s’est affaiblie dans l’économie canadienne depuis 20 ans