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Une école d’esthétique à l’éthique élastique

Des élèves flouées ont déjà dénoncé une école d’esthétique dans un premier reportage à La facture. Depuis, l’établissement a changé de nom, mais le même homme est toujours là.

Marie-Pier Halley n'a pas reçu la majorité des cours qu'elle a payés.

Marie-Pier Halley regrette de s'être inscrite à l'Ecole Esthétique Médicale en 2022.

Photo : Radio-Canada / Stéphanie Allaire

Esther Normand

À 23 ans, Marie-Pier Halley caresse un rêve : avoir sa propre clinique d’esthétique. Cette jeune infirmière s’inscrit donc à l’École Esthétique Médicale de Laval, en juillet 2022.

Ça fait longtemps que je veux être entrepreneure et que je veux gérer ma propre entreprise [...], travailler dans l’esthétique.
Une citation de Marie-Pier Halley

Elle y met le gros prix : 18 395 $.

Le 31 octobre 2022, l’école reportait sa formation pratique alors qu’elle s’était démenée pour obtenir des congés à ses frais.

Le lendemain, le reportage de La facture (nouvelle fenêtre) mettait en lumière les graves lacunes liées à la formation offerte. Finalement, l’école s’engageait à corriger le tir pour les clientes insatisfaites.

Marie-Pier s’est manifestée après la diffusion, excédée par des cours théoriques souvent annulés à la dernière minute, lassée d’attendre après une formation pratique qu’elle ne recevra d’ailleurs jamais. À un moment donné, je voulais que ça aboutisse. Fait que j'ai demandé de me rembourser, explique-t-elle.

Elle estime la valeur des cours qu’elle n'a pas reçus à 12 000 $. Et à ses yeux, la perte est plus grande encore, car les cours suivis étaient de piètre qualité.

Les locaux de l'entreprise.

Les locaux de l'entreprise.

Photo : google.com

Un changement de nom étonnant

Après avoir tenté à de multiples reprises de parler à un responsable au téléphone, elle joint enfin celui qu’on désigne comme le directeur, Jonathan Legault. Il la remboursera, affirme-t-il, dès qu’il aura établi le coût des cours non reçus. Cet appel n’aura pas de suite.

Outre Marie-Pier, nous avons communiqué avec plusieurs élèves de l’École Esthétique Médicale, choquées par les agissements de l’établissement.

Un établissement qui réserve toute une surprise à Marie-Pier : l’École Esthétique Médicale a fait place à Dermysk. Cette nouvelle entreprise, qui occupe les mêmes locaux que l'ancienne, à Laval, a également des succursales à Toronto, à Regina et à Edmonton.

Une responsable explique à Marie-Pier au téléphone : On s'est fait racheter par Dermysk. Donc, nous, on prend en charge les anciens étudiants, mais on est une nouvelle académie.

On lui confirme qu’un remboursement partiel lui sera accordé. Le directeur la rappellera, lui promet-on.

Promesse non tenue

Mais l’appel ne vient pas. Marie-Pier Halley part de Lévis pour se rendre à l’école d’esthétique à Laval. M. Legault, le directeur, se présente. Il lui confirme que l’École Esthétique Médicale est fermée et qu’elle a été rachetée par Dermysk.

Il lui affirme aussi qu'il n'y aura aucun remboursement, seulement des cours offerts… à Edmonton. Sa confiance ébranlée, elle refuse.

L’avocat et professeur de droit Louis-Charles Sirois précise que si Dermysk a vraiment acheté l’École Esthétique Médicale, elle a des responsabilités envers ses élèves. Lorsqu'une entreprise achète l'autre [...], les dettes sont assumées par la nouvelle entreprise.

On ne peut pas couper avec le passé aussi facilement que ça. C'est faux juridiquement.
Une citation de Louis-Charles Sirois, professeur de droit, Université d’Ottawa
Selon le registre des entreprises, Ali Cadili est impliqué dans l'École Esthétique Médicale et dans Dermysk.

Ali Cadili

Photo : embamcgillhec.ca

Deux entreprises, un seul homme

L’École Esthétique Médicale existe toujours au registre des entreprises du Québec. Le Dr Ali Cadili, qui a déjà figuré comme premier actionnaire au registre des entreprises du Québec, est le même qui se trouve derrière Dermysk.

En 2022, le Collège des médecins de la Saskatchewan l’a suspendu pour des activités en lien avec sa clinique Clear Health Inn de Regina. Chambre hyperbare, luminothérapie, vitamine C. On y vendait des traitements sans aucune valeur scientifique à des personnes atteintes de cancer.

Le conseiller juridique du Collège des médecins de la Saskatchewan, Bryan Salte, explique qu’à la clinique du Dr Cadili, on suscitait de faux espoirs chez des personnes vulnérables.

De notre point de vue, [c’est] très grave, affirme-t-il.

Ali Cadili n’a pas renouvelé depuis son permis d’exercice en Saskatchewan.

Dans un litige l’opposant à trois ex-employées de l’École Esthétique Médicale, une juge a par ailleurs constaté qu’il a utilisé un certain Husain comme prête-nom au Registre des entreprises. Quant à Dermysk, son nom apparaît comme premier actionnaire. Pourtant, dans cette entreprise, on nous dit qu’il n’en est pas responsable.

Lors d’un appel chez Dermysk, La facture a eu la confirmation qu’Ali Cadili s’y trouvait. Mais il n’a pas donné signe de vie, ni par téléphone ni par courriel. Jonathan Legault, lui, a écrit que lui-même n’avait aucune implication dans la gestion de l’École Esthétique Médicale. Il a ajouté que chez Dermysk, on le consulte à l’occasion surtout en lien avec son expérience passée avec l’École.

L'avocat et professeur de droit Louis-Charles Sirois, de l'Université d'Ottawa.

L'avocat et professeur de droit Louis-Charles Sirois, de l'Université d'Ottawa

Photo : Radio-Canada / Martin Brunette

Des vases communicants

Le professeur Sirois estime que les nombreux liens entre les deux entreprises prouvent qu’il s’agit des mêmes commerçants. Il y a des vases communicants entre les deux commerces, estime-t-il. Une lueur d’espoir pour toutes les élèves qui ont informé La Facture des poursuites qu’elles avaient intentées. Si c'est la même entreprise, dit M. Sirois, ça sera plus simple pour la ou le juge de condamner au remboursement les deux entreprises.

Marie-Pier, elle, a intenté une poursuite contre l’École Esthétique Médicale à la division des petites créances. Sa réclamation : 15 000 $. Selon Louis-Charles Sirois, Marie-Pier aurait pu également poursuivre Dermysk et son actionnaire principal à certaines conditions. On va voir s'il y a de la manigance et s'il y en a, on pourrait même condamner au paiement l'actionnaire et sa compagnie, d’après Me Sirois.

Chez Dermysk, pas d’entrevue, mais un courriel expliquant que d’ex-employées œuvraient dans le but de miner l’École d’Esthétique Médicale.

Dermysk précise que plusieurs changements ont été apportés à ses cours afin d’améliorer le curriculum et fournir une meilleure formation. Pour ce qui est de l’implication d’Ali Cadili dans Dermysk, silence radio.

Aujourd’hui, on voit à la place de Dermysk une nouvelle affiche sur la façade de l’entreprise : Skynique. Pour le moment, Skynique n'est pas au registre des entreprises et il ne nous a pas été possible de vérifier ses liens avec Dermysk ou avec l'École Esthétique Médicale. Par contre, l'adresse du bureau est toujours la même.

Récemment, Marie-Pier a reçu une mise en demeure de Dermysk qui lui a offert de régler pour 6500 $. En échange, elle devait signer une lettre d’excuses dont Dermysk lui a fourni copie pour avoir tenu des propos injustes et inappropriés.

Cette lettre mentionnait qu’elle souhaitait retirer son témoignage et qu’elle demandait que l’émission ne puisse pas diffuser ses propos. Si La facture les diffusait malgré tout, Marie-Pier devait se rétracter publiquement.

Marie-Pier a résisté, même si elle aurait eu bien besoin de cet argent. Toutes ses économies ont été englouties dans cette formation. Plus question d’ouvrir sa propre clinique. Pour elle, c’est une amère déception.

Le reportage de la journaliste Esther Normand et de la réalisatrice Stéphanie Allaire sera diffusé ce soir à La facture à 19 h 30 (nouvelle fenêtre).

Esther Normand

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