•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Démocratie en danger : « Il faut être aux aguets », avertit le juge en chef du Canada

La Cour suprême multiplie les initiatives pour se rapprocher de la population canadienne. Pour le juge en chef, Richard Wagner, il s’agit de protéger le système judiciaire contre les attaques politiques qui frappent de plus en plus de démocraties dans le monde.

Richard Wagner.

Le juge en chef de la Cour suprême du Canada, Richard Wagner

Photo : Radio-Canada / Michel Aspirot

Richard Wagner était aux premières loges quand la Cour suprême des États-Unis a sombré dans le chaos le mois dernier.

En visite officielle à Washington D.C., le juge en chef de la Cour suprême du Canada a suivi de près la crise politique causée par la fuite d’une ébauche de décision qui infirmerait la loi américaine en matière d’avortement.

J'étais là, à Washington, la journée où cette fameuse nouvelle est sortie. C'était catastrophique, raconte-t-il en entrevue dans ses bureaux, à Ottawa.

Rapidement, des manifestants pour et contre l’accès légal à l’avortement se sont massés devant la Cour suprême américaine. Certains se sont rendus devant le domicile de juges.

Deux groupes de femmes s'opposent, pancartes en main, et scandent des slogans devant les médias rassemblés en face du bâtiment de la Cour suprême.

Des militantes pro-choix et anti-avortement manifestent devant la Cour suprême des États-Unis, à Washington, le 3 mai 2022.

Photo : Getty Images / Anna Moneymaker

Le juge en chef de la Cour suprême du Canada ne croit pas que ce genre de fuite pourrait survenir au sein de sa cour, bien moins polarisée et politisée que son pendant américain.

Malgré tout, un mois plus tard, Richard Wagner dit que cet événement dévoile la fragilité de certains régimes démocratiques et de l’une de leurs pierres d’assise, soit l’indépendance judiciaire.

Ça fait réfléchir qu’il n'y a plus rien de sacré dans certains pays et qu’une institution peut être affaiblie très rapidement. Alors, au même titre que la confiance, ça prend des années et des années pour amener des gens à avoir confiance dans des institutions, et ça prend un événement pour détruire cette confiance-là.

Une citation de Richard Wagner, juge en chef de la Cour suprême du Canada

Comme bien des experts en matière juridique, Richard Wagner est d’avis que certaines tendances politiques mondiales servent en quelque sorte d’avertissement aux Canadiens. Il mentionne la tentative d’insurrection du 6 janvier aux États-Unis, la montée de la désinformation et ce qu’il qualifie des soi-disant camionneurs qui ont assiégé Ottawa cet hiver.

On ne peut jamais se dire : “On l’a l’indépendance judiciaire, on est au Canada, tout va bien, on a le respect des institutions.” Non, il faut être aux aguets. Et dès qu'arrive un incident qui peut attaquer l'indépendance judiciaire, il faut réagir, il faut dénoncer, affirme Richard Wagner, qui siège à la Cour depuis 2012 et la dirige depuis 2017.

Des institutions vulnérables

Professeure de droit à l’Université d’Ottawa, Vanessa MacDonnell dit que le phénomène du déclin démocratique, tel que vécu dans plusieurs pays, mène souvent à la politisation des plus hauts tribunaux. Elle pense à la crise qui entoure la Cour suprême américaine, à certaines attaques politiques contre le système judiciaire en Grande-Bretagne, et aux tourments qui frappent les institutions juridiques en Pologne et en Hongrie.

Vanessa MacDonnell.

Vanessa MacDonnell, professeure de droit à l’Université d’Ottawa

Photo : Gracieuseté

Elle affirme que le Canada ne subit pas de menace particulière à l’heure actuelle, mais que l’indépendance judiciaire demeure toujours vulnérable. Comme bien des gens, elle a remarqué les attaques politiques contre la Banque du Canada – une autre institution indépendante – qui sont au cœur de la course à la direction du Parti conservateur du Canada.

Il est tout à fait logique que le juge en chef d’une cour suprême, en voyant ce qui se passe ailleurs dans le monde et à quel point la situation peut rapidement se détériorer, décide que c’est un enjeu à confronter plus tôt que tard, de manière proactive plutôt que réactive, dit-elle.

Le sénateur conservateur Claude Carignan, un avocat qui suit de près les questions juridiques, dit que les événements politiques aux États-Unis ont souvent des répercussions au Canada. Il entend parfois, par exemple, des gens qui confondent le fonctionnement du Sénat canadien et celui du Sénat américain.

On est envahi par le discours de ce qui se passe aux États-Unis dans nos différents médias, explique-t-il. Je pense que la Cour suprême [du Canada] a raison de vouloir établir, par un certain plan de communication, qu'il y a des différences avec la Cour suprême des États-Unis et que lorsqu'on siège à la Cour suprême du Canada, on n'est pas là pour représenter un mouvement de droite ou de gauche, ou de rouge ou de bleu, mais on est là pour juger au fond du jugement en fonction des lois actuelles.

La Cour au cœur de la tourmente politique

La Cour suprême du Canada se targue de son indépendance à l’égard du gouvernement, mais ses juges ne vivent pas pour autant dans une bulle.

Plus tôt cette année, des militants contre les mesures sanitaires ont bloqué des postes frontaliers et le centre-ville d'Ottawa, y compris la rue devant la Cour suprême. Plusieurs manifestants remettaient en cause les fondements de la démocratie constitutionnelle du Canada, dont fait partie le système de justice.

Des manifestants debout sur un camion brandissent des drapeaux et une grenade fumigène devant le parlement canadien.

Des camionneurs et leurs supporteurs devant le parlement à Ottawa en février dernier

Photo : Radio-Canada / Michael Charles Cole

Richard Wagner note que certains manifestants invoquaient le premier amendement – qui protège la liberté d’expression aux États-Unis – pour revendiquer des droits au Canada. Ceci, croit-il, confirme le fort niveau de désinformation qui circule sur les médiaux sociaux.

J'ai toujours dit que la raison des préjugés, c'est l'ignorance. Alors le plus d'informations qu'on donne aux gens, le mieux ils vont pouvoir se former une idée, croit-il.

Se rapprocher de la population

C’est dans ce contexte que la Cour suprême multiplie les efforts pour se faire connaître par la population et pour promouvoir son rôle au sein du système démocratique.

La Cour publie maintenant une version vulgarisée de ses décisions, possède depuis peu un compte Instagram (Nouvelle fenêtre) et commence à siéger occasionnellement à l’extérieur d’Ottawa. Après une première expérience à Winnipeg en 2019, la Cour entendra deux causes à Québec en septembre, où elle profitera de l’occasion pour mener une rencontre avec le public.

Un des objectifs de ces mesures est d’expliquer et défendre le principe de l’indépendance judiciaire.

L'entrée principale de la Cour suprême du Canada vue de l'extérieur.

L'édifice de la Cour suprême du Canada, voisin du parlement, à Ottawa

Photo : Radio-Canada / Michel Aspirot

C’est pas pour les juges, l'indépendance judiciaire, c'est pour les citoyens. C'est pour s'assurer que les citoyens comprennent que lorsqu'ils se présentent devant les tribunaux, ils vont avoir accès à un juge impartial et indépendant, dont la décision ne dépendra pas d'une influence occulte, explique le juge en chef Wagner.

Les solutions de rechange au système en place ne sont pas très attrayantes à ses yeux.

S’ils perdent confiance dans le système de justice, qu'est-ce qui va arriver? Les gens vont régler leurs problèmes dans la rue et ça va être l'anarchie, éventuellement, et on perd complètement le calme, la sérénité, le bien-être des citoyens dans ces cas-là.

Une stratégie potentiellement risquée

Professeur de droit à l’Université de Sherbrooke, Guillaume Rousseau applaudit la plus grande accessibilité de la Cour suprême ces dernières années – tout en rappelant les risques de cette stratégie.

Depuis la Charte canadienne des droits, en particulier, le rôle politique de la Cour suprême est encore plus important qu’avant. Dans une démocratie, quand on a du pouvoir politique, c’est évidemment très sain de faire de la communication politique, de s’expliquer, d’avoir le souci de transparence, d’accessibilité pour les citoyens.

Une citation de Guillaume Rousseau, professeur de droit à l’Université de Sherbrooke

Toutefois, Guillaume Rousseau – qui a conseillé le gouvernement du Québec sur la Loi sur la laïcité de l’État – rappelle que la Cour s’expose à la critique chaque fois qu’elle change ses pratiques et étend les frontières de son action publique.

Par exemple, il note que le passage de la Cour suprême à Québec se fera en pleine campagne électorale provinciale. De plus, une des deux causes à l’horaire touche une dispute entre Ottawa et Québec sur la légalité de la culture du cannabis à domicile.

Ça porte sur le partage des compétences, donc l’autonomie du Québec, donc ça pourrait devenir très délicat, lance le professeur Rousseau.

Le juge en chef Wagner est conscient qu’il prend un risque en communiquant plus ouvertement et fréquemment avec la population, ou même en déplaçant la cour à l’extérieur d’Ottawa. Il croit malgré tout que le risque de ne rien faire serait plus important.

C'est sûr qu'il faut être prudent. Il y aura toujours des gens pour critiquer, mais moi [...] je pense que les bénéfices sont beaucoup plus grands que certaines critiques qu'il pourrait y avoir.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Chargement en cours

Infolettre ICI Ottawa-Gatineau

Une fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité régionale.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre d’ICI Ottawa-Gatineau.