La campagne électorale se poursuivra au Québec malgré la mort de la reine Élisabeth II, hormis une suspension temporaire des activités de François Legault jeudi. Cela risque toutefois de remettre les débats sur la place de la monarchie au Canada au premier plan au cours des prochains jours.

« C’est sûr que ça va détourner l’attention et ramener la question de l’abolition de la monarchie au premier plan, il n’y a pas de doute là-dessus. Je prédis même que dans les mois qui vont suivre la mort de la reine, il y aura un référendum au Canada sur la question », dit Benoît Pelletier, professeur émérite de l’Université d’Ottawa et sommité dans le domaine du droit constitutionnel.

L’ex-député et ministre libéral est catégorique : « Le débat va s’imposer par lui-même. »

Les politiciens ne voudront pas entrer dans la dynamique de l’abolition de la monarchie, qui serait au Canada une modification constitutionnelle importante, mais la population va forcément vouloir parler du sort qu’on réserve à ça au Canada. Les élus n’auront pas le choix de suivre.

Benoît Pelletier, constitutionnaliste et professeur émérite de l’Université d’Ottawa

« Ce qu’elle a fait depuis 70 ans, c’est quand même exceptionnel dans des moments qui étaient parfois durs. Je pense qu’on lui doit comme respect au moins de marquer le reste de la journée », a déclaré le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, à Tadoussac. L’annonce qu’il avait prévue jeudi a donc été annulée. Il ne s’est pas rendu non plus à un rassemblement militant dans une microbrasserie de la municipalité de Côte-de-Beaupré. Sa tournée reprendra ce vendredi.

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, s’est opposé à la mise en berne du drapeau sur les édifices publics du Québec. « Une connaissance minimale de notre histoire et un respect de base pour notre devise “Je me souviens” devraient nous amener à nous abstenir de mettre notre drapeau québécois en berne, tout en étant très respectueux pour la famille et le peuple anglais qui vit un deuil », a-t-il affirmé.

Questionnée pour savoir si le Québec devait, selon elle, souligner la mort de la reine d’une manière particulière, la cheffe du Parti libéral, Dominique Anglade, s’est contentée de répondre que « l’on doit souligner sa contribution, le fait que c’est une vie dédiée au service public », avant de prendre part à un bain de foule au marché Atwater, à Montréal.

Le chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, a aussi confirmé qu’il poursuivait sa campagne. « En tout respect, le quotidien des Québécois peut continuer et […] nos débats politiques au Québec peuvent continuer », a-t-il dit, jugeant que l’influence de la reine d’Angleterre « est surtout symbolique ». « C’est une journée très triste pour tout le monde », a indiqué pour sa part le chef du Parti conservateur, Éric Duhaime, selon qui un débat sur la monarchie serait malvenu.

Un enjeu à double tranchant ?

Stéphanie Chouinard, politologue et professeure de science politique à l’Université Queen’s, est aussi d’avis que la mort de la reine aura un impact sur les débats. « Ce n’est pas impossible qu’on voie la question de la relation du Canada à la monarchie s’inviter dans la campagne électorale au Québec », évoque-t-elle.

« Ça pourrait toutefois être un enjeu à double tranchant de vouloir se lancer dans une discussion de cette teneur pour les partis, surtout à ce point-ci, étant donné que la mort de la reine vient d’arriver », soutient-elle toutefois dans la foulée.

Au Québec, « la monarchie est nettement moins appréciée que dans d’autres provinces », rappelle Mme Chouinard, en faisant valoir que les débats sur la place du régime britannique pourraient donc y être plus importants.

On sait aussi que la figure du roi Charles divise beaucoup plus la population que celle d’Élisabeth II.

Stéphanie Chouinard, politologue et professeure de science politique à l’Université Queen’s

Dans un courriel, le porte-parole du Directeur général des élections, Jonathan Gaudreault, a précisé jeudi que « la Loi électorale ne prévoit pas de disposition particulière en cas de décès de la reine ». « Le processus électoral suivra donc son cours », a-t-il ajouté.

Il n’existe en effet aucune « règle de droit » qui impose la suspension du processus électoral, malgré le rôle que joue la reine dans les institutions démocratiques canadiennes, explique Patrick Taillon, professeur de l’Université Laval spécialisé en droit constitutionnel. « Je ne vois pas la règle juridique qui forcerait les autorités québécoises à suspendre ou à reporter quoi que ce soit », dit-il.

« Notre droit fait en sorte que ça a peu de répercussions ici. La loi prévoit que tout se fait automatiquement. Ça sera donc business as usual », affirme aussi Maxime St-Hilaire, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Sherbrooke.

Une loi cruciale

En juin 2021, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi 86, qui permet de soustraire l’État québécois et ses institutions à une éventuelle paralysie totale en cas de décès ou d’abdication de la reine Élisabeth II, qui, rappelons-le, est officiellement le chef de l’État canadien. Le projet de loi initial, qui ne comptait que quatre articles, avait été déposé le 11 mars par la ministre Sonia LeBel.

Source : Assemblée nationale du Québec

Avec la collaboration d’Hugo Pilon-Larose, de Tommy Chouinard, de Charles Lecavalier, de Fanny Lévesque et de Mylène Crête, La Presse