(Ottawa) Des intervenants issus de petites organisations médiatiques estiment qu’il est faux de croire que celles-ci risquent d’être laissées pour compte avec le projet de loi C-18 visant à forcer Google et Facebook à conclure des ententes d’indemnisation avec les entreprises de presse.

Plusieurs témoins entendus vendredi par le comité du Patrimoine canadien de la Chambre des communes ont soutenu que la pièce législative leur donnera des moyens de tirer leur épingle du jeu.

« La négociation collective est pour nous le seul moyen d’atténuer ce déséquilibre de pouvoir », a dit Sylvain Poisson, directeur général d’Hebdos Québec.

Comparaissant virtuellement, M. Poisson et Benoît Chartier, président du conseil d’administration de l’association regroupant environ 200 journalistes couvrant l’information régionale, ont pressé les parlementaires de permettre l’adoption de C-18, déposé par le gouvernement de Justin Trudeau au printemps dernier.

« Les géants du web ont cannibalisé nos revenus sans assumer aucune des responsabilités sociales et fiscales qui s’y rattachent en contrôlant les algorithmes, a insisté M. Poisson. Ils ont bouleversé le modèle d’affaires et diminué la valeur réelle de l’information. »

Les plateformes soumises à la future loi C-18 auront six mois après l’adoption de celle-ci pour conclure des ententes sur une base volontaire avec des médias et démontrer au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) que ces accords sont satisfaisants en vertu de six critères.

Ces derniers prévoient notamment que les ententes fournissent « une indemnisation équitable » aux entreprises de nouvelles et qu’elles contribuent à « la viabilité des entreprises indépendantes de nouvelles locales ».

Si le CRTC juge que les critères sont respectés, les plateformes seront exemptées de l’éventuelle loi. Dans le cas contraire, des « négociations obligatoires » pourront être lancées par des salles de nouvelles, qui pourront aussi avoir recours à l’arbitrage.

Un autre témoin entendu par le comité du Patrimoine vendredi, le fondateur du média spécialisé en innovation The Logic, David Skok, a souligné que bien des entreprises de presse ont déjà conclu des ententes avec Facebook et Google, mais que celles-ci demeurent confidentielles.

« Les accords secrets […] ont créé un déséquilibre de marché qui donne aux compétiteurs un avantage injuste dans la guerre pour les talents, pour l’audience et la distribution », a-t-il affirmé.

À son avis, le projet de loi C-18 favorise une compétition qui est souhaitable.

Un peu plus tôt vendredi, un professeur de l’Université nationale d’Australie, Rod Sims, a aussi démenti la croyance que le modèle australien duquel la pièce législative canadienne s’inspire a été désavantageux pour les plus petits médias.

« C’est tout simplement faux. Les faits sont très clairs », a dit celui qui a été président du bureau de la concurrence et du consommateur de l’Australie.

D’autres témoins entendus par les députés ont toutefois vertement critiqué le projet de loi C-18. Une journaliste indépendante et cofondatrice du site web « The Line », Jen Gerson, a notamment exprimé des craintes que la pièce législative ait l’effet inverse que ce qui est voulu.

« Par exemple, si des organisations comme Facebook ou (sa société mère) Meta répondent […] en restreignant tout simplement l’accès à du contenu d’information de médias traditionnels comme ils ont menacé de le faire, qui en souffrira le plus selon vous ? Facebook ? Non. Les éditeurs canadiens perdront accès à un pôle de distribution majeur », a-t-elle lancé aux élus.

À ce sujet, Sims a souligné que le réseau social avait fait la même menace face à la législation australienne, mais n’est finalement pas passé à l’action.

Le professeur à l’Université d’Ottawa Michael Geist a pour sa part fait valoir que la définition de ce qui constitue un partage de contenu d’information méritant une rétribution est trop vaste. Selon lui, le projet de loi établit que le seul partage de la page frontispice d’une publication sans relayer un article en tant que tel entraînerait une compensation, ce qu’il juge inapproprié.