« C’était une de mes personnes préférées au monde. » Ces mots, Justin Trudeau aurait tenu à les écrire lui-même, pour honorer jeudi celle qu’il a rencontrée, encore enfant, quand il n’était que le fils d’un premier ministre. Au bord des larmes, il a raconté une reine « curieuse, drôle » qui l’a « beaucoup conseillé ».

Ses éloges se mêlent à ceux des hommes qui l’ont précédé à la tête du Canada. De Jean Chrétien, premier ministre de 1993 à 2003, à Stephen Harper, de 2006 à 2015, qui a parlé d’une « grande perte pour le pays », tous évoquent le lien tangible qu’elle entretenait avec le Canada. Plus qu’une reine de papier aux seules fonctions honorifiques. La gouverneure générale actuelle, Mary Simon, représentante de la Couronne au Canada, dit qu’elle s’imprégnait des histoires de ce pays qu’elle appelait « sa deuxième maison ».

22 fois comme reine au Canada

La dernière fois que la reine avait foulé le sol canadien, c’était il y a douze ans, en 2010. Le dernier de ses 22 séjours en tant que souveraine (contre 16 en Australie), plus haut total pour un pays du Commonwealth.

Des visites qui n’ont pourtant pas toujours été de tout repos. En 1964, alors qu’elle fait étape à Québec, le mouvement indépendantiste a le vent en poupe. L’un des figures du mouvement, Pierre Bourgault, écrit à Buckingham Palace pour dire à Elizabeth II qu’elle n’est pas la bienvenue.

Les policiers, craignant un accueil tonique, répriment de manière disproportionnée la foule de « quelques centaines d'étudiants, la plupart séparatistes », raconte-t-on alors dans le journal Le Droit, où l'on ajoute : « Elle [La reine] est repartie de la Vieille Capitale [du Québec] probablement avec l'intention bien arrêtée de ne plus y remettre les pieds. » L’événement avait été baptisé « le Samedi de la matraque ».

Vers une remise en cause de la monarchie constitutionnelle ?

La visite qui restera peut-être le plus dans les mémoires, c'est celle de 1982, au moment du rapatriement de la Constitution canadienne depuis l'Angleterre. En la signant, elle émancipe le Canada de la Couronne… sans couper complètement les ponts pour autant. Pour que le Canada ne soit plus une monarchie, il faudrait un vote unanime du Parlement et de ceux des provinces, dont certaines disposent de vétos. « Ça semble peu probable », explique Benoît Pelletier, professeur éminent de droit à l'Université d'Ottawa et ancien député libéral du Québec.

Mais pour lui, l'arrivée sur le trône de Charles va relancer le débat. « La reine n'a pas réussi à dépolitiser la monarchie, même si, avec le temps, elle était devenue une figure respectable, acceptable. La monarchie est de plus en plus impopulaire ici et Charles peut accélérer cela. D'autres pays vont s'interroger aussi sur ce lien et je pense que les Canadiens vont embarquer. »

Un sujet qui s’invite dans la campagne électorale au Québec

C'est d'ailleurs dans ce débat que s'est engouffré le chef du Parti Québécois, Paul St-Pierre Plamondon, en pleine campagne électorale (le Québec vote le 3 octobre). Il souhaite une discussion sur la légitimité de la monarchie et s'est opposé à ce que les drapeaux québécois soient mis en berne après la mort de la souveraine.

François Legault, chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) et premier ministre, l'a accusé de faire « de la petite politique » sur le dos de la reine. Et il a mis sur pause sa campagne électorale juste après l'annonce de la mort de la souveraine. Dix jours de deuil national seront observés au Canada.