Décès de la reine: le rocher de Gibraltar

La reine Élisabeth II, lors d'une visite au Parlement d'Ottawa, en 1977

CHRONIQUE / Le décès d’Élisabeth II entraîne son lot d’hommages, non seulement au Royaume-Uni, mais un peu partout dans le monde. C’est normal, puisqu’elle a régné pendant 70 ans avec une dignité, une délicatesse et une intelligence remarquables. La population, les chefs d’État et les autres élus de tous les horizons expriment tour à tour l’admiration qu’ils vouent à sa Majesté. Car, il faut bien le dire, Élisabeth II faisait l’unanimité, au-delà des partis politiques et des idéologies. Même ceux et celles qui étaient sceptiques, voire cyniques par rapport à la monarchie, sont obligés d’admettre qu’Élisabeth II personnifiait et incarnait à merveille la Couronne. 


La Couronne justement, c’est l’État. Par exemple, au Canada, le Monarque se voit confier le pouvoir exécutif. Il est aussi le commandant en chef des forces armées. Il fait partie intégrante du pouvoir législatif et on dit même qu’il est la fontaine de la Justice. 

La Constitution canadienne affirme que les provinces fondatrices du pays ont souhaité que le Canada ait le même Monarque que le Royaume-Uni. Cette disposition constitutionnelle marque à la fois l’allégeance et la fidélité des Canadiens au Souverain britannique et inscrit dans le cadre constitutionnel propre au Canada le principe même de la continuité juridique. 

Cette continuité juridique est précisément le principe dominant de la transition entre Élisabeth II et Charles III. Sur le plan légal et constitutionnel, rien ne change au Canada. Il y aura certes des changements dans les dénominations et la monnaie, peut-être même – à la limite – dans quelques symboles nationaux, mais, si je peux me permettre, la Reine meurt, mais la Couronne reste. 

Bien que le Souverain du Canada soit la même personne que le Souverain britannique, il agit à l’égard de l’État canadien avec une autorité et un statut bien particuliers. Il est notre Chef d’État à nous, en plus d’être celui de quatorze autres pays, dont le Royaume-Uni.

Je tiens à rappeler ici que le Souverain et ses représentants, le gouverneur général et les lieutenants-gouverneurs, exercent essentiellement des fonctions symboliques à l’égard du Canada. Essentiellement ne veut toutefois pas dire exclusivement. Il est en effet des contextes, des circonstances où le Monarque doit prendre de vraies décisions. C’est le cas par exemple lorsqu’il y a lieu de nommer un premier ministre ou de former un gouvernement après une élection ou une défaite parlementaire, ou en période de crise constitutionnelle. Que l’on se souvienne à cet égard, par exemple, du rôle que devait jouer Michaëlle Jean en 2008 alors que s’était formée une coalition entre les libéraux et les néo-démocrates, avec l’appui du Bloc québécois. 

Le fait que nous vivions dans une monarchie constitutionnelle signifie que le Monarque doit respecter la Constitution du pays, dont les conventions constitutionnelles. Ce sont ces dernières qui viennent le dépouiller de ses pouvoirs réels, dans la plupart des cas. La monarchie constitutionnelle signifie par ailleurs que les pouvoirs du Monarque découlent, dans notre système politique, en droite ligne de la Constitution, que ce soit des dispositions explicites de celle-ci ou de prérogatives royales. Ces dernières sont des vestiges de l’époque où, en Angleterre, existait une monarchie absolue. 

Certains auraient souhaité que Charles renonce au trône au profit de son fils William, lequel est beaucoup plus populaire en ce moment que son père, mais l’accession au trône n’est justement pas un concours de popularité. Elle est plutôt prévue par des règles bien établies, découlant entre autres de lois et autres normes britanniques.

Certes, le nouveau Roi du Canada, Charles III, aura fort à faire pour laisser un souvenir aussi mémorable que sa mère. Il devra imposer son style et chercher à marquer les esprits, à sa façon. Sa popularité est bien moindre que celle de sa défunte mère, mais j’ai confiance qu’il saura lui aussi se montrer digne de ses fonctions. 

Quant à Camilla, elle agira en tant que Reine consort, ce qui n’était pas censé être le cas au moment de son mariage avec Charles. Elle a bénéficié d’un important appui public de la part de sa Majesté Élisabeth II à l’occasion d’une déclaration publique de cette dernière, le 5 février 2022.

La mort d’Élisabeth II entraînera une remise en question de la monarchie dans nombre de pays dont sa Majesté était souveraine, dont le Canada. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il y aura, dans ces pays, abolition de la monarchie, mais il y aura débat sur ce sujet, j’en suis certain. D’ailleurs, soit dit en passant, un pays peut très bien demeurer membre du Commonwealth tout en abolissant la monarchie en son sein.

Au Canada même, l’abolition de la monarchie passerait par l’application de la procédure de modification constitutionnelle et requerrait le consentement unanime de la Chambre des communes et des dix législatures provinciales. Il s’agit de ce que l’on appelle la règle de l’unanimité. 

Cette règle est évidemment fort exigeante. Plusieurs doutent même qu’elle puisse être mise en œuvre, concrètement, afin de procéder éventuellement à l’abolition de la monarchie. En ce qui me concerne, je crois que si la population canadienne devait un jour appuyer l’abolition de la monarchie à l’occasion d’un référendum, par exemple, cela donnerait aux acteurs politiques la chiquenaude pour procéder à une modification constitutionnelle formelle. Tout cela reste à voir, bien entendu. 

Pour l’instant, l’on ne peut que se chagriner du décès de celle dont le règne fut le plus long de l’histoire de la monarchie britannique, de celle dont la présence fut rassurante pour des peuples entiers face aux vicissitudes de la vie, de celle qui fut un véritable rocher de Gibraltar dans les bons comme dans les mauvais temps.