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Paul St-Pierre-Plamondon parle devant des micros, avec des drapeaux du Québec en arrière-plan
Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, lors d'une conférence de presse, le 17 octobre 2022, à l'Assemblée législative de Québec. Il a réitéré qu'il ne voulait pas prêter serment au roi Charles III. La Presse canadienne/Karoline Boucher

Il n’y a pas de version française officielle de la Loi constitutionnelle de 1867. Le serment au roi en français est-il valide ?

Depuis l’élection des premiers députés péquistes en 1970, la controverse entourant le serment d’allégeance au souverain que doivent prêter les députés québécois avant de prendre leur siège à l’Assemblée nationale soulève les passions et suscite de vifs débats.

Cet automne, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a alimenté la polémique en clamant haut et fort son intention de ne pas prêter serment au roi Charles III. Ses collègues péquistes ont pris la même position, suivis des députés de Québec solidaire, qui se sont toutefois ravisés depuis.

En effet, le 2 novembre, l’ancien président de l’Assemblée nationale, François Paradis, a rendu une décision dans laquelle il affirme sans équivoque qu’un député ne peut prendre son siège à l’Assemblée nationale sans avoir d’abord prêté serment au roi. Il a en outre ordonné à la sergente d’armes d’expulser tout député qui refuserait de se conformer à cette obligation.

Le 1er décembre, cette décision a été confirmée par la nouvelle présidente de l’Assemblée nationale, Nathalie Roy, et les trois députés péquistes se sont vus refuser l’accès au Salon bleu.

Pour sa part, le gouvernement caquiste de François Legault s’est engagé à déposer à l’Assemblée nationale un projet de loi qui permettrait aux députés québécois de se soustraire à l’obligation de prêter serment au roi. Néanmoins, comme le démontre cet article récemment publié sur La Conversation, un doute subsiste quant à la capacité de la législature du Québec de modifier de façon unilatérale les dispositions pertinentes de la Constitution.

En tant que constitutionnalistes et experts en droits linguistiques, l’intérêt accru que suscite le serment au roi nous incite à explorer une autre question souvent reléguée au second plan : la pratique parlementaire permettant aux députés québécois et à leurs homologues fédéraux de prêter le serment au roi en français est-elle constitutionnelle ?


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Seule la version anglaise de la loi de 1867 a valeur officielle

La question se pose puisque l’obligation de prêter serment trouve sa source dans l’article 128 et dans l’annexe V de la Loi constitutionnelle de 1867, une loi adoptée par le Parlement du Royaume-Uni et dont seule la version anglaise a, à ce jour, valeur officielle au Canada. Si l’on s’en tient au texte officiel, tout député devrait donc prêter serment en anglais en répétant la formule suivante :

I (Member’s name) do swear, That I will be faithful and bear true Allegiance to (His) Majesty (King Charles).

Il existe bien des versions françaises officieuses de la Loi constitutionnelle de 1867, publiées sur les sites du ministère de la Justice du Canada et du Secrétariat du Québec aux relations canadiennes, dans lesquelles cette formule a été traduite. Cependant, ces traductions n’ont pas force de loi.

Le roi Charles III et la princesse Anne suivent le cercueil de la reine Elizabeth II lors de ses funérailles nationales à l’abbaye de Westminster, le 19 septembre 2022. Prêter serment au nouveau roi suscite la polémique au Québec et au Canada. La Presse canadienne/AP-Andreea Alexandru, Pool

Le fait qu’aucune version française officielle de la Loi constitutionnelle de 1867 n’existe en 2022 n’est ni plus ni moins qu’une aberration. Cette réalité est d’autant plus troublante que l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982 impose au ministre de la Justice fédéral l’obligation de rédiger une version française des textes constitutionnels canadiens qui, à l’instar de celui de 1867, n’ont été promulgués qu’en anglais pour des raisons purement historiques.

Une fois la version française rédigée, travail qui a été effectué en 1990, celle-ci doit être déposée pour adoption immédiate. Toutefois, son adoption ne peut avoir lieu qu’en vertu de la procédure de modification de la Constitution. Dans le cas de la Loi constitutionnelle de 1867, l’adoption d’une version française intégrale requiert le consentement de tous les membres de la fédération. Quarante ans après le rapatriement de la Constitution, ce degré de consentement n’a toujours pas été atteint en raison d’un manque de volonté politique.

L’option de prêter serment en français existe depuis 1791

En dépit de la problématique décrite ci-dessus, tant la Chambre des communes que l’Assemblée nationale permettent aux députés de prêter serment en français. Au Québec, cette pratique remonte à l’Acte constitutionnel de 1791, qui prévoyait dans sa version originale anglaise que les nouveaux députés du Bas-Canada devaient prêter serment au souverain « in the English or French Language » (article 29). Le Journal de la Chambre d’Assemblée du 17 décembre 1792 confirme que les députés francophones ont pu prêter serment en français.

Bien que l’option de prêter serment « in the… French Language » ne soit pas explicitement consacrée dans l’Acte d’Union de 1840 ni dans la Loi constitutionnelle de 1867, la pratique permettant aux députés de prêter serment en français a été maintenue de manière publique, paisible et continue, sans que cela ne soulève de protestation.

Cette pratique est-elle justifiable d’un point de vue constitutionnel, ou faut-il plutôt conclure à l’invalidité du serment prêté en français par les députés depuis l’avènement de la fédération canadienne en raison d’un vice de forme ? Une telle conclusion entraînerait des conséquences pour le moins dramatiques puisqu’elle remettrait en question la validité des votes auxquels ces députés ont participé et celle des lois adoptées sous leur gouverne.

Yves-Francois Blanchet parle devant un micro, avec des drapeaux à l’arrière-plan
Le chef du Bloc québécois, Yves-Francois Blanchet, évoque l’utilisation d’une journée d’opposition afin de demander si les fonctionnaires devraient prêter serment au roi, lors d’une conférence de presse, le 25 octobre 2022 à Ottawa. La Presse canadienne/Adrian Wyld

Le fait de prêter serment en français est constitutionnel

Selon nous, la pratique permettant aux députés québécois et fédéraux de prêter serment en français est conforme à la Constitution. La Loi constitutionnelle de 1867 doit être interprétée en tenant compte de la dualité linguistique canadienne. L’un des objectifs de l’union des colonies britanniques en une fédération consistait à permettre à la minorité francophone d’avoir une législature au sein de laquelle ses membres seraient majoritaires et pourraient légiférer, en français, sur des matières importantes comme l’éducation, la culture et le droit privé.

Plusieurs dispositions de la Constitution visent à protéger les droits des minorités. Pensons notamment à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui autorise les députés québécois et fédéraux à utiliser le français ou l’anglais dans le cadre des débats parlementaires. Il serait illogique que cette même loi oblige les députés à prêter serment en anglais comme condition préalable pour leur permettre d’utiliser la langue officielle de leur choix dans le cadre des travaux législatifs.

De plus, il faut souligner que l’article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne dit pas que le serment doit être prêté « in English ». Dans la mesure où une ambiguïté existe sur la langue du serment, elle doit être résolue de manière conforme au principe constitutionnel du respect des minorités (reconnu par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec), tout en tenant compte du but premier de cette disposition. Ce qui importe vraiment, aux termes de l’article 128, c’est l’affirmation de loyauté du député envers le souverain – qui personnifie l’État canadien – et non la langue officielle dans laquelle le serment est prononcé.

Depuis 1982, le paragraphe 16(1) de la Charte canadienne des droits et libertés élimine toute ambiguïté à l’ordre fédéral en disposant ce qui suit :

Le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada ; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

Comme le français et l’anglais ont un statut juridique égal à la Chambre des communes, il s’ensuit que les députés fédéraux doivent pouvoir prêter serment au roi dans l’une ou l’autre de ces langues.

Pour ces raisons, nous estimons que les députés québécois et fédéraux peuvent validement prêter serment en français, bien que seule la version anglaise de la Loi constitutionnelle de 1867 dispose d’une valeur officielle. Il n’en demeure pas moins que le rapatriement de la Constitution restera un projet inachevé tant que les membres de la fédération ne respecteront pas leur obligation d’adopter une version française des textes constitutionnels unilingues anglais.

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