Photo fournie par le Ministère émirati des Affaires présidentielles le 28 novembre 2022 du ministre de l'Inductrie et chef de la compagnie pétrolière nationale ADNOC, Sultan Ahmed al-Jaber, désigné le 12 janvier 2023 président de la COP28 prévue aux Emirats

PDG de la compagnie pétrolière ADNOC (Abou Dhabi), le Sultan Ahmed al-Jaber a été désigné pour présider la COP28 prévue aux Emirats.

afp.com/Rashed AL-MANSOORI

Voilà longtemps que les Conférences des parties (COP) ne font plus rêver. Taxées d’"inutiles" par de nombreux observateurs, elles débouchent depuis plus de vingt ans sur des compromis qui n’empêchent pas nos émissions de grimper. Le sultan Ahmed al-Jaber, qui présidera le prochain round en novembre, aura-t-il plus de succès ? L’homme d’affaires d’une cinquantaine d’années, à la tête du groupe pétrolier Adnoc, l’énergéticien de l’émirat d’Abou Dabi, prétend incarner une COP de l’efficacité. S’exprimant à grand renfort de "plans d’affaires" et de "KPI concrets", son discours très "business" tranche avec les traditionnelles déclarations diplomatiques de ses prédécesseurs. De quoi laisser craindre pour les organisations pro climat des résultats ambigus.

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"La double casquette d’Al Jaber, patron de la COP et d’une entreprise pétrolière, aura forcément un effet sur la manière dont se construit l’identité de cette réunion, avec le risque de se tourner vers de fausses solutions", s’inquiète déjà Gaïa Febvre, responsable des politiques internationales au sein du Réseau Action Climat (RAC).

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Présentes de longue date lors des sommets sur le climat, les entreprises ont considérablement augmenté leur poids ces dernières années. "La place du lobby pétrolier et gazier est de plus en plus importante", poursuit Gaïa Febvre. L’année dernière, lors de la COP27 à Charm el-Cheikh, trois ONG avaient constaté un bond de 25 % parmi les représentants des intérêts liés au charbon, au pétrole ou au gaz.

Devenir incontournable

Les énergéticiens ne sont pas les seuls à venir humer l’air des COP. En 2021, à Glasgow, la COP26 avait laissé une large place au secteur privé avec 7 000 participants, sur près de 30 000, appartenant à une myriade d’entreprises, dont de nombreuses multinationales comme L’Oréal, IBM, Dassault Systèmes ou Ikea… Cette présence physique de plus en plus visible témoigne d’une stratégie visant à "s’établir comme des acteurs incontournables, y compris en termes de régulation", explique Lynda Hubert Ta, professeure de droit à l’Université d’Ottawa, qui a participé en tant qu’observatrice à la COP15 Biodiversité. Mais elle souligne aussi l’importance pour certaines firmes de faire partie des solutions. Lors de cette COP15, tenue en décembre dernier à Montréal, une coalition de 330 entreprises, au chiffre d’affaires total de 1 300 milliards de dollars, s’était ainsi prononcée en faveur d’un reporting obligatoire sur leur impact en matière de biodiversité.

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Dans ces "broad COP" — comprendre "COP élargie", en opposition à la "COP des Etats"—, les tables rondes, forums et réunions informelles sont légion. Avec le constat, pour les Etats, que les firmes doivent jouer un rôle central dans la décarbonation de l’économie. "On est en train d’impliquer de plus en plus les entreprises dans ces enceintes car on fait un constat simple : les gouvernements mettent en place des trajectoires dont une grande partie de l’effort repose sur le secteur privé", explique Marie Georges, directrice executive du Conseil en développement durable chez Accenture. Le sultan al-Jaber ne dit pas autre chose. "L’ampleur du problème exige que tout le monde travaille de manière solidaire, insiste-t-il dans les colonnes du Guardian. Nous avons besoin de partenariats, pas de polarisation, et nous devons aborder cela avec une logique claire et un plan d’action exécutable."

L’argent, nerf de la guerre

Dans la lutte contre le changement climatique, et l’adaptation à celui-ci, le nerf de la guerre reste, comme de coutume, l’argent. "À l’heure actuelle, il y a un déficit global de financement de la biodiversité et de l’action climatique, que les États peinent, seuls, à combler", relève Lynda Hubert Ta. La présence du secteur privé doit donc permettre de mettre au pot plusieurs milliards de dollars, dans le cadre de mécanismes de financement non traditionnels et qualifiés "d’innovants". "Les autorités publiques semblent bel et bien voir ici une majeure partie de la solution", ajoute l’universitaire. En ligne de mire notamment, le fonds pour les "pertes et dommages", qui a été acté lors de la dernière COP en Egypte, mais aussi les très attendus 100 milliards de dollars d’aides annuelles accordées par les pays du Nord aux pays du Sud pour les accompagner dans leur lutte contre le réchauffement. Autant de sujets sur lesquels les entreprises sont attendues, autant pour réduire leur impact que pour trouver des remèdes.

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