Des enjeux pour l’Outaouais

Le premier ministre François Legault en compagnie des députés caquistes Suzanne Tremblay, Mathieu Lacombe et Mathieu Lévesque. 

CHRONIQUE  / Comme la dernière élection québécoise l’a démontré, les électeurs de l’Outaouais ne sont pas différents de ceux du reste du Québec. Les thèmes de la santé, de l’éducation, de l’environnement, du pouvoir d’achat du contribuable et de la qualité des services publics – pour ne nommer que ceux-là – les interpellent tout autant.


La région de l’Outaouais se démarque néanmoins des autres régions du Québec par sa dynamique politique, sa proximité géographique avec la capitale fédérale, son historique particulière et ses composantes socioculturelles. Par conséquent, il n’est que normal que l’Outaouais revendique que les mesures adoptées par l’État québécois soient adaptées à son contexte spécifique. En 2019, l’Assemblée nationale tout entière a adopté une résolution allant en ce sens. Cette résolution parle notamment de notre conjoncture régionale particulière, de nos besoins spéciaux et de nos défis distincts. Elle parle aussi du rattrapage que doit effectuer l’Outaouais en maintes matières.

Au moment où j’écris ces quelques lignes, ce rattrapage n’est pas encore accompli, mais l’Outaouais est définitivement engagée dans la bonne voie, elle qui constitue l’une des régions les plus prospères, rayonnantes et dynamiques du Québec. Et cet élan, à mes yeux, il n’a pas de couleur politique. Il est attribuable essentiellement à une prise en main, par les gens de la région, des leviers, gouvernementaux et autres, qui sont à leur disposition.

Parlant de développement régional, il y a quatre aspects que j’aimerais faire valoir ici:

L’immigration 

On parle de plus en plus au Québec d’une régionalisation de l’immigration, c’est-à-dire d’une volonté politique – à défaut d’être encore une tendance – voulant que les nouveaux arrivants s’installent en région. L’Outaouais devrait saisir la balle au bond et chercher à devenir un leader, une référence, un modèle en la matière. En d’autres termes, l’Outaouais devrait se présenter comme une véritable «société d’accueil» au sein même du Québec. Cela exige cependant que nous nous dotions de davantage de ressources (infrastructures, institutions, services, etc.) susceptibles de favoriser la saine intégration des immigrants à notre communauté de même que la cohésion sociale de cette dernière.

La francisation 

Comme bien des gens dans l’Outaouais, je m’inquiète de l’anglicisation progressive de la région. Comprenez-moi bien. Je n’ai rien contre l’anglais. J’ai même choisi de quitter la ville de Québec pour la région d’Ottawa-Hull (comme on l’appelait à l’époque) à l’âge de 23 ans, en raison de la cohabitation d’anglophones et de francophones qui la caractérise. J’aime ce mélange des langues… quand il ne se trouve pas dans une même phrase.

Cela dit, je soutiens l’objectif d’assurer la survie et le progrès du français au Québec même, et en Outaouais en particulier.

Les francophones et francophiles feraient bien de chercher davantage à accroître l’usage et la qualité du français dans notre région avant qu’il ne soit trop tard. Et je ne souhaite pas ici à me faire prophète de malheur. Je constate tout simplement le très grand pouvoir d’attraction de la langue anglaise et de la culture qu’elle véhicule.

Les pouvoirs régionaux

Au Québec, le temps est venu, je crois, de procéder à une certaine décentralisation des pouvoirs de l’État en faveur des instances régionales, dont les municipalités. En d’autres mots, l’État québécois est peut-être un peu trop centralisé en ce moment. Bien des décisions touchant les citoyens devraient être prises plus près de ceux-ci. C’est-là l’essence même du concept dit de «subsidiarité», un concept qui vient précisément en appui à la décentralisation des pouvoirs et des organes décisionnels dans une société donnée.

Les régions du Québec devraient être en mesure de prendre des décisions qui soient modulées en fonction de leurs besoins et de leur caractère propres. Cela vaut évidemment pour l’Outaouais. Au surplus, l’Outaouais devrait avoir droit à un véritable statut particulier, c’est-à-dire disposer de programmes, d’investissements, de ressources et de moyens d’action qui soient différents de ceux de l’ensemble des autres régions du Québec ou, à tout le moins, de la plupart de ces dernières.

L’autochtonie 

Plusieurs résidents de l’Outaouais savent peu de choses des Autochtones qui vivent dans la région. Pourtant, ce que j’appellerai ici l’autochtonie constitue une grande richesse pour tout le Québec. Elle en est une également pour l’Outaouais. À ce titre la sensibilisation des non-Autochtones à la réalité autochtone devrait désormais figurer parmi les grandes priorités régionales.

Il ne s’agit évidemment pas de se forger une image folklorique des Autochtones, ni au contraire d’en entretenir une conception idéaliste, mais bien plutôt de consolider et de parfaire notre relation de nation à nation, et d’insister sur la dimension humaine de nos échanges réciproques.

De fait, la culture anishnabe est bien vivante en Outaouais, ainsi que l’illustrent les communautés algonquines de Kitigan Zibi et de Lac-Barrière. Personnellement, je ne peux pas voir de plus beau projet social et politique pour la région que celui qui se nourrit de l’amitié des groupes qui le constituent, fussent-ils autochtones ou non-autochtones.

À côté de l’amélioration des services et soins en matière de santé, des investissements dans les écoles primaires, secondaires et collégiales, de la consolidation de la vocation de l’UQO en tant qu’établissement de haut-savoir dans un nombre accru de programmes, du développement et de l’aménagement durable du territoire, de la résorption de la crise du logement et de la création de nouvelles places en services de garde, il y a des enjeux incontournables qui, de par leur caractère fondamental précisément, nous interpellent et nous transcendent. Ces enjeux, que j’ai décrits ci-dessus, sont aussi ceux sur lesquels j’aimerais bien entendre maintenant les élus municipaux, provinciaux et fédéraux de l’Outaouais.

Benoît Pelletier est avocat émérite, docteur en droit et professeur éminent à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Il a été député de Chapleau à l’Assemblée nationale du Québec et ministre.