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Trois mois plus tard, la famille Ntwari attend toujours pour enterrer le corps de Frank

Un père pose avec ses deux filles.

Frank Ntwari, avec ses deux filles maintenant orphelines. Elles sont profondément marquées par la mort de leur père. (Photo d'archives)

Photo : gracieuseté Mélanie Rubavu

Radio-Canada

Mort dans un accident de voiture il y a trois mois, Frank Ntwari n’a toujours pas été enterré. Des membres de sa famille, dont son père, sont toujours au Burundi, en Afrique, en attente de leur visa.

Précision

À la suite de la diffusion des reportages de CBC/Radio-Canada, la famille a appris que le visa d'Adolphe Rukenkanya a été accepté. Il avait fait appel de sa demande refusée auprès d'IRCC, avec l'appui de la députée fédérale Mona Fortier.

Sa mère et son frère vivent toujours à Ottawa. Ils s’occupent des filles maintenant orphelines qui ont perdu leurs deux parents. Bientôt, ils pourront enfin accrocher une photo de Frank au mur.

Cela fait partie de la guérison. Psychologiquement, cela signifie que vous vivez toujours avec votre famille. Dans notre culture, il n’y a pas de photo avant l’enterrement, a expliqué sa mère, Mélanie Rubavu, dans une entrevue en français avec les représentants de CBC/Radio-Canada.

Nous sommes dans un état de détresse. Je ne sais même pas comment le décrire, a-t-elle ajouté.

Frank Ntwari, 41 ans, se trouvait dans une voiture avec son ami, Innocent Muhoza, à l’angle du chemin Montréal et du boulevard Saint-Laurent, à Ottawa. Le véhicule a été percuté avec une telle force qu’il s’est enflammé. Les deux hommes sont morts.

La conductrice de l’autre voiture, Shallen McKay, 32 ans, a survécu. Elle a été inculpée de deux chefs d’accusation de conduite avec les facultés affaiblies causant la mort.

Mélanie Rubavu se remettait d’une opération chirurgicale lorsqu’elle a appris la mort de son fils. Ce fut un grand choc. Je ne me suis jamais reposée.

Elle a aussitôt quitté le Maine, où elle vit, pour se rendre à Ottawa. Mais le père de Frank Ntwari, Adolphe Rukenkanya, se trouvait au Burundi, à 11 500 kilomètres d’Ottawa. Je ne pouvais même pas pleurer. Lui et moi ne faisions qu’un, a-t-il dit lors d’une entrevue virtuelle.

Profil de Mélanie Rubavu.

Mélanie Rubavu se dit dans un état de détresse après la mort de son fils et les difficultés rencontrées pour faire venir les autres membres de la famille au Canada pour ses funérailles.

Photo : Radio-Canada / Arthur White-Crummey

M. Rukenkanya est resté chez lui après que sa demande de visa de visiteur pour le Canada a été refusée le mois dernier. La famille avait invité six personnes du Burundi à l'enterrement, mais deux seulement ont vu leur visa accepté, tandis qu'une autre attend toujours. Mme Rubavu a déclaré que ce retard avait laissé une grande blessure.

Je n'envisage pas d'enterrer mon fils sans son père. C'est trop dur. Nous avons besoin de notre famille pour nous soutenir, a assuré la mère.

Mélanie Rubavu décrit son fils comme un homme intelligent, respectueux et réservé, qui aimait la vie et sa famille. Elle précise qu'il suivait des cours de sciences sociales au Collège La Cité et qu'il était un élève brillant, toujours prêt à aider les membres de sa communauté.

Un père et son fils.

Frank Ntwari avec son père Adophe Rukenkanya. (Photo d'archives)

Photo : gracieuseté Mélanie Rubavu

Les histoires humaines se perdent dans la paperasse, selon une avocate

La famille a raconté qu’il a fallu deux semaines pour identifier le corps de Frank en raison d'importantes brûlures. Il a fallu encore plus de temps pour rassembler les documents nécessaires avant que le père puisse déposer sa demande avant le 1er septembre.

Il a précisé que son but était d’assister aux funérailles de son fils.

Il est extrêmement important, naturellement, en tant que grand-père, que je puisse être proche de ma famille, pour lui apporter réconfort et soutien, a-t-il dit avec impuissance.

La semaine dernière, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) lui a dit qu’il avait refusé sa première demande de visa de visiteur parce qu’il n’avait pas démontré de façon convaincante qu'il quitterait le Canada, compte tenu de ses ressources financières et de ses liens familiaux.

L’IRCC a ensuite déclaré à CBC que les ressortissants burundais avaient besoin d’un visa de visiteur, également appelé visa de résident temporaire, pour entrer au Canada pour une courte période allant jusqu’à six mois, y compris pour des funérailles.

Le ministère avait alors dit qu’il n’avait pas prouvé qu’il disposait des fonds nécessaires pour payer son voyage. M. Rukenkanya a assuré que ses racines au Burundi étaient profondes et qu’il n’a jamais rêvé de s’installer au Canada. Il a été ministre dans un gouvernement burundais et il a rappelé que sa femme vit aux États-Unis, pas au Canada. Il a aussi dit avoir présenté un document notarié par un citoyen canadien qui a promis de prendre en charge ses frais pendant son voyage.

Le frère de Frank Ntwari, Guy, avait écrit au Haut-commissariat du Canada en Tanzanie, où se trouve un bureau d’immigration, pour demander le traitement urgent de six visas pour des motifs de compassion, selon une copie de la lettre que la famille a fournie à CBC.

Guy a mentionné avoir désespérément besoin du soutien de sa famille. Sa mère trouve la situation inhumaine.

Ce qui se passe est scandaleux. On empêche un père d’enterrer son fils. Empêcher une famille d’être soutenue pour enterrer les siens. Je trouve cela inhumain, a-t-elle plaidé.

Professeure à l’Université d’Ottawa qui étudie le droit en immigration, Jamie Liew a dit que les demandes émanant de pays africains ont généralement un taux d'approbation relativement faible par rapport à d'autres régions.

Elle ajoute qu'il existe un énorme arriéré et que les fonctionnaires de l'immigration soupçonnent souvent les demandeurs d'essayer de manipuler le système dans l'intention de rester au Canada.

Il est regrettable que nos fonctionnaires de l'immigration ne fassent pas preuve de compassion à l'égard de la véritable tragédie qui se cache derrière les raisons de la demande [de M. Rukenkanya] et qu'ils considèrent les demandeurs avec ce genre de lentille.

Portrait de Jamie Liew.

«Il est regrettable que nos fonctionnaires de l'immigration ne fassent pas preuve de compassion à l'égard de la véritable tragédie», a dit Jamie Liew. (Photo d'archives)

Photo : Gracieuseté de Jamie Lew

Selon la professeure, les fonctionnaires peuvent prendre en compte des situations humanitaires ou de compassion lors de l’examen d’une demande. Or, ils ne sont pas obligés de le faire.

C’est une décision discrétionnaire. [...] Il y a une distance entre l’individu et la demande, et parfois l’histoire humaine se perd dans le traitement et la paperasse, a dit celle qui espère que l’IRCC formera ses employés à se souvenir qu’il y a de vraies personnes derrière ces demandes.

Une famille au passé tragique

Ce n’est pas la première fois que la famille doit vivre avec une tragédie. En 2020, la femme de Frank Ntwari, Bélyse, est décédée. Sa photo est accrochée dans la maison en guise de souvenir pour leurs filles, Christy et Milly, âgées de 5 et de 10 ans.

Selon Mélanie Rubavu, les deux petites filles sont profondément marquées par la mort de leur père. Parfois, Christy s’accroche à sa jambe, ne voulant pas la laisser partir.

Le traumatisme de l’absence des parents est là, et il restera là. Mais les enfants resteront connectés à leurs parents. C’est le lien du sang. C’est inarrêtable et naturel.

Les enfants sont également très attachés à leur grand-père. Une fille a même pleuré lorsqu’elle a appris qu’il ne pouvait pas venir au Canada.

Avec les informations d’Arthur White-Crummey, de CBC News

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