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Analyse

Faire du Manitoba une province « véritablement bilingue », ça veut dire quoi?

Une affiche où s'est écrit english français avec une icône d'un homme devant un bureau.

En ce moment, seul le Nouveau-Brunswick est une province sur le plan constitutionnel, intégralement bilingue, rappelle François Larocque, professeur de droit à l’Université d’Ottawa.

Photo : Radio-Canada

Le journaliste Thibault Jourdan
Thibault Jourdan

Wab Kinew a demandé à son ministre des Affaires francophones de faire du Manitoba une province « véritablement bilingue ». À la veille de la reprise parlementaire, cette tâche s’annonce aussi vague qu’ardue.

Dans la lettre de mandat qu’il a adressée à son ministre du Sport, de la Culture et du Patrimoine et ministre des Affaires francophones, Glen Simard, Wab Kinew lui donne comme troisième objectif de reconnaître le rôle fondateur de la communauté francophone de [la] province, protéger ses droits et améliorer l'accès à l'éducation, aux soins et aux services en langue française afin [qu'elle soit] véritablement une province bilingue.

Glen Simard, ministre du Sport, de la Culture et du Patrimoine et des Affaires francophones photographié dans son bureau en novembre 2023.

Glen Simard, ministre du Sport, de la Culture et du Patrimoine et des Affaires francophones.

Photo : Radio-Canada / Mario De Ciccio

En ce moment, seul le Nouveau-Brunswick est une province sur le plan constitutionnel, intégralement bilingue, rappelle François Larocque, professeur de droit et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques à l’Université d’Ottawa.

Le Manitoba a des obligations constitutionnelles sur le plan linguistique en matière législative et en matière judiciaire, mais la loi, au Manitoba, ne garantit pas la prestation de services et des communications dans les deux langues, poursuit-il.

À l’heure actuelle, les services doivent être offerts en français uniquement dans les régions désignées bilingues dans la province.

L'enchâssement dans la Constitution, une solution?

La formulation vague de la lettre de mandat de Glen Simard laisse cependant place à toute sorte d’interprétations. Selon François Larocque, une lecture optimiste pourrait voir, dans le mandat du ministre Simard, l'ouverture [du gouvernement] d'explorer la possibilité de modifier la Constitution pour préserver les droits des francophones.

Une telle démarche est relativement simple, puisqu’il suffirait d’une entente entre Ottawa et Winnipeg. L'exemple du Nouveau-Brunswick nous démontre que tout ce que ça prendrait, c'est une entente bilatérale entre le Parlement [fédéral] et la législature du Manitoba. Il s’agit donc d’une résolution prise par consensus bilatéral entre la législature du Manitoba et le Parlement. C'est l'article 43 de la loi constitutionnelle de 1982 qui prévoit cette formule d'amendement constitutionnel, poursuit-il.

De son côté, Frédéric Boily, professeur de science politique au Campus Saint-Jean de l'Université de l'Alberta, estime que la lettre fixe un objectif ambitieux. Faire d’une province de l’ouest une province vraiment bilingue, malgré l’ancrage historique des francophones au Manitoba, qui sont un groupe fondateur, peut-être, mais pas un groupe dominant non plus, c’est très ambitieux, estime-t-il.

Par ailleurs, il relève que la lettre mentionne l’objectif d’améliorer les services, mais qu’on n’est pas obligé pour ça de dire que le Manitoba doit devenir une province vraiment bilingue.

Risque politique

En réalité, le problème sous-jacent qui se cache derrière l’utilisation des termes véritablement bilingue dans la lettre de mandat est qu’ils peuvent créer des espoirs et des attentes tellement élevées qu’on est pratiquement certain qu’on n'arrivera pas à les atteindre, analyse Frédéric Boily.

Je ne crois pas que ça soit vraiment réaliste dans un mandat de quatre ans. Si vraiment on voulait réaliser cet objectif-là, il faudrait déjà se donner un horizon temporel plus long parce qu'on ne peut pas changer une dynamique qui s'est installée depuis des décennies en seulement un mandat.
Une citation de Frédéric Boily, professeur de science politique au Campus Saint-Jean de l'Université de l'Alberta

De cela découle un fort risque politique pour le nouveau gouvernement néo-démocrate de susciter déception et mécontentement au sein d’une partie des électeurs. C’est quelque chose qui peut se retourner contre le gouvernement lorsque viendra la prochaine élection, estime M. Boily. C'est une lourde responsabilité [qui repose] sur les épaules du ministre.

Glen Simard reste prudent

En entrevue avec Radio-Canada, le nouveau ministre des Affaires francophones, Glen Simard, joue la prudence quand il s’agit de préciser ce que signifie l’ordre indiqué dans sa lettre de mandat.

Pour lui, l’élément essentiel est l’offre de service dans les deux langues officielles : il s’agit, [qu’on soit] anglophone ou francophone, [de pouvoir] trouver les services [gouvernementaux dont on a] besoin en français, affirme-t-il.

Toutefois, lorsqu’on lui demande si faire du Manitoba une province véritablement bilingue implique d’aller plus loin et de potentiellement modifier la Constitution canadienne, il déclare laconiquement : En ce moment, je ne peux rien répondre [par rapport à] cela.

Du côté de la Société de la francophonie manitobaine, on ne s’oriente pas vers une telle demande. Son vice-président, Derek Bentley, voit dans la volonté du gouvernement de faire du Manitoba une province véritablement bilingue une incitation à rêver où on veut être dans 5 ans, dans 10 ans, dans 20 ans et de commencer à mettre des choses en place [qui ne sont pas juste] temporaires mais qui sont aussi protégées.

Le vice-président de la SFM, Derek Bentley, photographié en novembre 2023.

Derek Bentley est le vice-président de la SFM.

Photo : Radio-Canada / Mario De Ciccio

Le gouvernement pourrait donner quelques éléments de réponses quant à ses intentions envers la francophonie dans son premier discours du Trône, qui sera prononcé mardi.

Avec des informations de Mario De Ciccio

Le journaliste Thibault Jourdan
Thibault Jourdan

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