(Ottawa) Justin Trudeau pourrait-il obtenir son passeport vers une majorité en promettant un passeport sanitaire fédéral pendant la campagne électorale qui pointe à l’horizon ? L’un des grands architectes des victoires de Jean Chrétien dans les années 1990 pense que oui – car dans le camp conservateur, la proposition serait source de division et nuirait aux chances du chef Erin O’Toole, estime Peter Donolo.

Une précision s’impose avant d’aller plus loin ; elle vient du professeur Benoît Pelletier. « Sur le plan juridique, un passeport fédéral me semble tout à fait faisable. La question de la pandémie a une dimension nationale, et par ailleurs, l’enjeu de la santé, selon la Cour suprême, est de compétence partagée », explique le constitutionnaliste de l’Université d’Ottawa dans un entretien avec La Presse.

En revanche, des provinces qui, comme le Québec, souhaitent aller de l’avant avec leur passeport sanitaire n’ont pas besoin d’Ottawa. Ainsi, « sur la question de la pertinence, j’avoue que ça heurterait quelque peu l’esprit du fédéralisme », à moins qu’Ottawa ne l’applique seulement dans son champ de compétence, par exemple, pour les sociétés à charte fédérale, souligne-t-il.

Mais sur le plan purement partisan, « ça mettrait les conservateurs dans l’embarras, et ça pourrait les priver d’un appui qui pourrait faire la différence entre un gouvernement minoritaire et un gouvernement majoritaire », conclut Benoît Pelletier. En cela, l’analyse de l’ex-ministre québécois rejoint celle de Peter Donolo, qui a étayé ses arguments dans une lettre publiée dans le quotidien The Globe and Mail.

« Les passeports vaccinaux pourraient permettre à Trudeau de remporter une majorité », a-t-il titré cet article d’opinion paru mercredi.

C’est un wedge issue [un enjeu clivant], parce qu’avec 80 % d’appuis, 80 % de la population qui est vaccinée, ça veut dire que 80 % des gens sont tannés de la minorité qui empêche le progrès.

Peter Donolo, en entrevue avec La Presse, à propos des passeports vaccinaux

« Le Parti conservateur a besoin d’une partie de ces gens-là, et il y a une frange très réfractaire à cet enjeu, alors ce serait logique que les libéraux l’exploitent. C’est rare qu’on a un enjeu qui rallie 80 % des gens et que notre adversaire a peur de toucher », poursuit celui qui a notamment été directeur des communications de l’ancien premier ministre libéral Jean Chrétien.

Divergences d’une province à l’autre

En Nouvelle-Écosse, où la campagne électorale bat son plein, le premier ministre libéral sortant, Iain Rankin, a fait de l’instauration d’un passeport sanitaire une promesse. Si les électeurs lui accordent à nouveau leur confiance, il ira de l’avant.

À l’opposé, en Ontario et en Alberta, les premiers ministres conservateurs Doug Ford et Jason Kenney n’en veulent pas. « Nous n’allons pas faire ça. Nous ne voulons pas d’une société divisée », a lancé le dirigeant ontarien Doug Ford au sujet de cette mesure, à la fin de juillet.

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Le premier ministre Justin Trudeau a lui aussi exprimé maintes fois un malaise face à cet outil, plaidant qu’il pourrait, selon lui, être une source de division. Mercredi, à son bureau, on n’a pas voulu dire si sa pensée avait évolué, nous référant aux propos favorables qu’il avait eus jeudi passé à l’endroit de son homologue François Legault.

À cette occasion, il avait affirmé qu’il appuyait « entièrement l’initiative » du premier ministre du Québec et qu’il avait demandé à la greffière du Conseil privé par intérim, Janice Charette, de se pencher sur la possibilité de « regarder comment on peut amener une vaccination obligatoire » pour certains fonctionnaires fédéraux.

Les libéraux n’ont toujours pas annoncé leur intention de déclencher des élections, mais tout indique que Justin Trudeau ira cogner à la porte de la nouvelle gouverneure générale du Canada, Mary Simon, le dimanche 15 août.