Nomination de Mary Simon : Vous avez bien dit réconciliation ?

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

POINT de VUE / La nomination de Mary Simon en tant que prochaine gouverneure générale du Canada est riche en symboles et en espoirs, puisqu’elle est la première autochtone à atteindre cette haute fonction. Cette nomination a été vue par plusieurs comme s’inscrivant dans un esprit et un effort de réconciliation nationale, de dialogue pancanadien. Mais la question se pose de savoir de quelle réconciliation ou de quel dialogue on parle effectivement. Et la question se pose par ailleurs de savoir quel est le rôle et la pertinence du gouverneur général de nos jours.


Sur cette seconde question, force est d’admettre que le gouverneur général assume des fonctions qui sont essentiellement symboliques, bien qu’elles ne le soient pas exclusivement. En effet, il y a des contextes où ses pouvoirs sont bien réels. C’est le cas notamment lorsque surviennent des crises constitutionnelles, comme celle entourant la demande de prorogation de la Chambre des communes par le gouvernement Harper en 2008. C’est aussi le cas lorsque le gouvernement en place subit une défaite électorale ou une défaite parlementaire. L’application du principe du gouvernement responsable renvoie alors à un ensemble de conventions constitutionnelles qui doivent guider le gouverneur général dans le choix du premier ministre et la composition du cabinet.

Certes, s’ils le voulaient, les Canadiens pourraient opter pour l’abolition pure et simple de la monarchie constitutionnelle au Canada. Bien que cela requière une modification constitutionnelle des plus complexes — la règle de l’unanimité —, il s’agit d’une hypothèse qui fait progressivement son chemin et qui n’est pas à balayer d’un revers de la main. On pourrait alors, comme société, choisir un régime présidentiel. Mais ceux qui pensent qu’on ferait des économies se leurrent. Notre monarchie constitutionnelle est peu coûteuse, contrairement à la croyance populaire.

Mary Simon, gouverneure générale du Canada

On pourrait aussi , comme le suggèrent certains, confier les fonctions actuellement dévolues au gouverneur général au juge en chef du Canada. Mais cela pourrait poser à l’occasion des problèmes en ce qui touche la séparation des pouvoirs dans l’État et l’indépendance judiciaire.

Notre conclusion personnelle à cet égard est que tant que notre système politique reposera sur le parlementarisme de type britannique, nous devrions conserver la monarchie constitutionnelle, tout en essayant d’en moderniser et d’en «canadianiser» davantage le caractère et les attributions.

Reste maintenant la question de savoir quel sens il convient de donner à la réconciliation et au dialogue nationaux que plusieurs appellent de leurs vœux. Il doit s’agir bien entendu d’une grande réconciliation entre Autochtones et non-autochtones. Mais il ne doit pas s’agir que de cela. Il faut aussi se préoccuper de la réconciliation entre les Québécois et les autres Canadiens. Car ces deux entités — souvent appelées les deux solitudes — se trouvent renvoyées dos à dos par la vision dogmatique que certains ont du multiculturalisme. Bref, le Québec et le reste du Canada vivent une véritable crise des valeurs, crise au centre de laquelle se trouvent la Charte canadienne des droits et libertés, la nette judiciarisation du régime canadien, la fermeture du dossier constitutionnel, les critiques virulentes à l’égard du Québec (le Quebec bashing) et l’intransigeance à l’endroit de l’identité québécoise et de son affirmation.

La prochaine gouverneure générale devra démontrer une sensibilité au sujet de la langue française et de la culture francophone qu’elle a peu dévoilée jusqu’à présent au cours de sa longue carrière. Elle devra aussi contribuer à cette grande réconciliation et à ce grand dialogue que nous décrivions ci-dessus. De fait, l’heure n’est pas qu’au renforcement de la relation entre Autochtones et allochtones. L’heure est aussi à la revalorisation de la spécificité québécoise et, plus largement, de la francophonie dans l’espace canadien. Rebâtissons urgemment des ponts entre tous les Canadiens!

L’auteur, Benoît Pelletier, est avocat, professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et ex-politicien