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Des manifestants portent des masques des milliardaires Bill Gates et Jeff Bezos lors de la COP15 sur la biodiversité, le 15 décembre 2022, à Montréal. Pour la première fois dans une COP, les grandes entreprises, présentes en grand nombre, avaient leur propre agenda. La Presse canadienne/Ryan Remiorz

COP15 sur la biodiversité : les entreprises veulent - aussi - faire partie de la solution

La 15ᵉ Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique (COP 15), qui s’est déroulée en décembre 2022 à Montréal, a abouti sur l’adoption dite « historique » d’un cadre visant à protéger au moins 30 % des zones terrestres et marines d’ici 2030.

Le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal guidera ainsi les efforts mondiaux en matière de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité pour les huit prochaines années.

La COP 15 a également donné lieu à une mobilisation sans précédent des entreprises. Pour la première fois dans une COP sur la biodiversité, de nombreux événements et espaces leur ont été dédiés avec une participation record, notamment un Forum entreprises et biodiversité qui s’est tenu du 12 au 13 décembre 2022. Parmi les firmes participantes, de gros noms : Total Energies, BP, Vale, IKEA, Holcim et Walmart.

Professeure à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, où je fais des recherches sur la responsabilité sociale des entreprises, j’ai été l’une des représentantes du Centre du droit de l’environnement et de la durabilité mondiale à la COP 15 en tant qu’observatrice. Je me propose de vous présenter un survol des principaux messages des entreprises lors de cette conférence.


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Des membres du Réseau mondial des jeunes pour la biodiversité manifestent dans les halls du centre de convention lors de la conférence de la COP15 sur la biodiversité à Montréal, le 16 décembre 2022. La Presse canadienne/Paul Chiasson

Un cadre ambitieux pour tous, y compris pour les entreprises

À la COP 15, les entreprises ont, elles aussi, réclamé un engagement politique fort, avec l’adoption d’un cadre ambitieux et exigeant, aux objectifs mesurables. Une fois traduits en directives étatiques claires, ces objectifs guideraient leurs actions en faveur d’un impact positif sur la nature.

Elles se sont déclarées favorables à l’adoption de la Cible 15 du Cadre mondial, reconnaissant ainsi les limites des mécanismes volontaires et la nécessité de la régulation étatique pour résoudre la crise de la biodiversité, notamment en termes d’incitatifs positifs (taxes sur la pollution, redevances, etc.) Cette cible enjoint les États à prendre des mesures (dont juridiques) pour exiger que les entreprises et les institutions financières contrôlent, évaluent et divulguent leurs risques, dépendances et impacts sur la biodiversité afin de les réduire.

Les entreprises s’attendent donc à ce que la divulgation obligatoire des risques liés à la nature puisse se généraliser.

Les entreprises veulent faire partie du changement

L’importance de la participation de tous dans la mise en œuvre du Cadre mondial a été maintes fois soulignée par les panélistes du Forum entreprises et biodiversité.

Les entreprises ont martelé leur volonté de faire partie du changement et, faute d’expertise suffisante, se sont dites ouvertes à collaborer avec l’ensemble des acteurs à tous les niveaux, pour y parvenir. Certes, des défis concernant les données (parfois nombreuses, mais disparates, ou alors peu fiables et peu consolidées) sur les impacts de leurs activités ont souvent été évoqués. Mais un Cadre mondial fort leur semble être un bon point de départ pour concentrer leurs efforts sur des objectifs et indicateurs précis.

L’argent, le nerf de la guerre

La mobilisation des ressources financières a été au cœur des discussions à Montréal.

C’est l’un des enjeux sur lesquels les États ont eu le plus du mal à s’entendre jusqu’à la toute fin, et sans nul doute un élément déterminant pour une mise en œuvre réussie du Cadre mondial, dont l’ambition devra être suivie par des investissements importants.

Une bannière protestant contre le poids des milliardaires dans la crise climatique a été installée sur un immeuble jouxtant la Banque de Montréal, au centre-ville de Montréal, lors de la COP15 sur la biodiversité, le 15 décembre 2022. L’un des grands enjeux au cœur des discussions à Montréal est la mobilisation des ressources financières. La Presse canadienne/Ryan Remiorz

Par exemple, il ne suffira pas d’accroître à 30 % la superficie des zones terrestres et marines protégées de la planète : il faudra encore s’assurer que ces aires protégées soient bien gérées. Il y a un risque de passer à côté des objectifs sans un soutien financier conséquent de cette mise en œuvre. Les mécanismes financiers traditionnels existants ont leurs limites en termes d’accès. Il faut aussi des mécanismes novateurs. En ce sens, il a été proposé de diversifier les sources de financement, issu à la fois du secteur public et privé.

Les entreprises sont donc interpellées et se voient reconnaître un rôle important dans le financement de la mise en œuvre du Cadre mondial, notamment au moyen de différents instruments fondés sur le marché.

Un engagement controversé

S’il est clair que le « business as usual » n’est plus possible pour les entreprises, leur engagement, tant dans la protection de la biodiversité que dans son financement, n’est pas sans soulever des questions, notamment en termes de légitimité.

En effet, leur implication demeure étroitement liée à la stratégie corporative visant à améliorer leur image et à réduire leurs risques d’affaires. Elle est donc d’abord et avant tout motivée par des objectifs d’intérêt privé, contrairement à l’intérêt global de l’ensemble de la planète qui anime les États ayant adopté le Cadre mondial.

Par ailleurs, leur implication favorise l’intégration d’une logique et d’instruments fondés sur le marché dans la protection de la biodiversité, ce qui renforce la marchandisation et la financiarisation de la nature. Selon Edward Barbier professeur d’économie à la Colorado State University, « the reason we’re losing natural capital is because it’s free » (« la raison pour laquelle nous perdons le capital naturel est qu’il est gratuit »).

La valeur intrinsèque de la biodiversité

Dans les discours des entreprises présentes à la COP 15, un thème revenait : il faudrait donner une valeur monétaire à la biodiversité pour résoudre le problème de sa déperdition.

Une telle évaluation économique de la biodiversité rend possible sa substituabilité ou sa compensation par d’autres formes de capital, dont celui financier. Mais est-ce vraiment une bonne chose ? Comme le soulignent certains experts, les problèmes actuels de la biodiversité ont été créés par les distorsions de l’économie de marché. Les résoudre à travers ce même système a le potentiel de les aggraver, en induisant de mauvaises décisions.

Et puis, est-il réellement possible d’attribuer une valeur marchande aux éléments de la biodiversité et à leurs fonctions écologiques, vitales pour la survie de l’humanité ? L’utilitarisme a ses limites.

Or, les négociations lors de cette COP 15, axées sur les intérêts nationaux, semblent avoir occulté la valeur intrinsèque de la biodiversité. Au-delà de la valeur économique qu’elle revêt, quel pays pouvait véritablement prétendre s’être présenté à cette COP en ayant uniquement à cœur la survie des lémuriens, des orangs-outans ou des ours polaires, en eux-mêmes et pour eux-mêmes ?

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