Des sans-abri ripostent à la prison pour des amendes impayées

David Bonfond a fait de la prison pour des amendes impayées.

David Bonfond a été jeté en prison pour une série d’amendes imposées alors qu’il était sans-abri à Gatineau. Depuis, il fait partie d’une contre-attaque judiciaire qui pourrait inspirer d’autres contestations ailleurs dans la province. 


Le printemps dernier, M. Bonfond faisait l’entretien ménager dans une station-service de Gatineau lorsqu’il a été arrêté par une policière. Elle avait en main des mandats d’emprisonnement contre lui, pour environ 6000 $ de constats d’infraction impayés.

Au poste de police, l’agente lui a proposé deux options, se souvient David Bonfond. «Elle m’a dit: “soit tu payes ou soit tu t’en vas en prison. C’est 90 jours ou 6000 piasses.”» Comme il n’avait pas les moyens de payer, il a été incarcéré le jour même à la prison de Hull.

David Bonfond faisait l’entretien ménager dans une station-service de Gatineau quand il a été arrêté.

Pendant qu’il était en prison, M. Bonfond a contacté le Bureau d’aide juridique à Gatineau. Il est bien tombé. Alertée par la Clinique interdisciplinaire en droit social de l’Outaouais, la directrice du Bureau, Me Catherine Barrière-Gratton, venait de découvrir des vices procéduraux dans le dossier d’un autre client emprisonné pour non-paiement d’amendes.

Me Catherine Barrière-Gratton

«On a réalisé que quand les gens ne se présentaient pas à leur audition, il n’y avait pas de preuve administrée devant le juge», dit Me Barrière-Gratton. Cette absence de preuves ne respectait pas les dispositions ajoutées en 2020 au Code de procédure pénale avec la loi 32, qui vise notamment à mettre fin aux peines de prison pour non-paiement d’amendes.

En fait, deux fois par an, la cour municipale de Gatineau demandait en bloc l’émission de centaines de mandats d’emprisonnement pour des gens qui n’avaient pas payé leurs constats d’infraction, dont un bon nombre pour des sans-abri.

Une «machine», ajoute l’avocate, calculait le nombre de jours à purger en prison, puis le juge signait dans son bureau les mandats d’incarcération.

«Évidemment, ç'a un été un choc pour nous de réaliser que probablement plusieurs de nos clients ont vécu la même chose. Malheureusement, on s’est fié au juge, à la cour municipale, que ces décisions-là avaient été prises en conformité avec la loi. Il ne faut jamais rien prendre pour acquis.»

—  Me Catherine Barrière-Gratton

Le 10 mars, la juge Catherine Mandeville, de la Cour supérieure, a annulé les douze mandats d’emprisonnement de David Bonfond. Il a retrouvé sa liberté après quatre jours derrière les barreaux.

Pour ne pas devoir contester chaque emprisonnement pour non-paiement d’amendes à la pièce, Me Barrière-Gratton a mis de la pression sur la Ville de Gatineau pour qu’elle annule tous les mandats d’emprisonnement émis dans les mêmes circonstances.

La Ville de Gatineau a écouté. En avril, la quatrième ville de la province a obtenu l’aval de la Cour supérieure pour suspendre 1669 mandats d’emprisonnement émis au cours des dernières années contre des gens qui n’avaient pas payé leurs amendes.

«Je veux souligner que ce qui motive la Ville [de Gatineau], c’est le souci de poser le bon geste dans la perspective de protéger les personnes vulnérables», avait déclaré dans sa plaidoirie le procureur de la Ville, Me Vincent Rochette, rapportait Radio-Canada.

Action collective

La contestation se poursuit toutefois sur un autre front. Le 13 mars, une demande d’action collective a été déposée en Cour supérieure contre la Ville de Gatineau au nom des personnes en situation d’itinérance qui ont été incarcérées pour non-paiement d’amendes. Jusqu’à une centaine de personnes pourraient être concernées.

Un des objectifs de l’action collective est de permettre à ces personnes d’être indemnisées, explique Me Jean-François Benoît, un des avocats derrière la demande.

«Il faut savoir que ce sont des gens ultras vulnérables. Ce ne sont pas des gens qui vont aller voir un avocat et qui vont penser, même, que leurs droits ont été violés. Ces gens-là sont habitués à la répression, sont habitués de se cacher, de s’effacer. [...] Donc, l’action collective est un véhicule extrêmement puissant et efficace pour faire changer les choses.»

—  Me Jean-François Benoît

Inspiration

La riposte de sans-abri à Gatineau pourrait inspirer d’autres contestations judiciaires à travers le Québec, alors que l’emprisonnement se poursuit malgré l’adoption de la loi 32 qui est censée y mettre fin.

Mardi, les Coops de l’information révélaient que 29 personnes ont été emprisonnées en 2022 et 2023 pour ne pas avoir payé leurs amendes à Lévis.

À l’échelle du Québec, 709 personnes ont été incarcérées dans les centres de détention pour des amendes impayées entre juin 2020 et janvier 2023, montrent des données du ministère de la Sécurité publique. Du nombre, 111 se sont déclarées en situation d’itinérance au moment d’entrer en prison. Mais puisque les gens ne sont pas obligés de se déclarer comme tels, disent des experts, c’est probablement la pointe de l’iceberg.

Pour Marie-Ève Sylvestre, doyenne de la faculté de droit de l’Université d’Ottawa et membre de l’Observatoire des profilages, la persistance de l’emprisonnement pour des amendes impayées suggère que les changements législatifs ne percolent pas dans certaines cours municipales, même trois ans après l’adoption de la loi 32.

«Ou bien on ne sait pas que les modifications sont entrées en vigueur, donc on ignore la loi, ce qui serait vraiment une faute importante pour les juges ou les percepteurs [des amendes], dit-elle. Ou bien, on y résiste.»