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Meurtre en sol canadien: des leaders sikhs de Montréal craignent pour leur sécurité

Ils redoutent d’être pris pour cibles en militant pour la séparation du Punjab, comme le faisait Hardeep Singh Nijjar, dont le meurtre aurait été orchestré par le gouvernement indien



Des leaders de la communauté sikhe de Montréal craignent pour leur sécurité après le meurtre d’un des leurs en sol canadien qui aurait été commandité par l’Inde.

« Ne seriez-vous pas tourmenté si vous saviez que quelqu’un veut vous tuer ? » demande Chattar Singh Sani, secrétaire général du Temple sikh Gurudwara Guru Nanak Darbar, établi entre autres à LaSalle et à Parc-Extension.

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Il a appris avec effroi lundi que le meurtre d’un leader de la communauté sikhe de la Colombie-Britannique commis à l’extérieur d’un temple de la ville de Surrey a été commandité par le gouvernement indien, selon ce qu’a allégué le premier ministre Justin Trudeau.

La victime tuée par balle, Hardeep Singh Nijjar, militait en faveur de la séparation du Punjab au profit d’un État sikh et était considérée comme un « terroriste » par l’Inde.

« Ça me fait peur »

À Montréal, cela inquiète beaucoup M. Singh Sani, qui a beaucoup écrit dans le passé pour s’exprimer en faveur de la séparation du Punjab, qu’il compare d’ailleurs au Québec dans le Canada.

Chattar Singh Sani, secrétaire général du Gurdwara Guru Nanak Darbar, un temple sikh situé à LaSalle, à Montréal. Photo Clara Loiseau

« Le Punjab est enclavé par un océan d’hindous comme le Québec est entouré d’anglais », résume-t-il.

Interdit d’entrée en Inde par le gouvernement pour ses opinions politiques, Chattar Singh Sani craint d’être ciblé par les autorités indiennes. « S’ils peuvent venir [au Canada] et tuer quelqu’un dans un temple sikh, ça me fait peur ».

  • Écoutez l'analyse de Maïka Sondarjee, professeure adjointe à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa, disponible en balado ou en audiovisuel via la plateforme audio QUB radio :

Son collègue, qui préside le temple de LaSalle, partage ses craintes.

« Ils ciblent les gens qui parlent contre le gouvernement de l’Inde. Ils nous ciblent parce qu’on demande notre pays », lâche Surjit Singh au bout du fil.

Pour John Packer, professeur associé à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, cet assassinat envoie un message très fort aux leaders sikhs qui se positionnent pour la création d’un État sikh.

« C’est sûr que certains leaders au Canada doivent avoir des craintes. Il y a une communauté sikhe importante, qui partage le même désir d’indépendance », ajoute M. Packer.

« Pour l'Inde, de parler en public et d'inciter les gens vers la création d’un État khalistanien indépendant, c'est un acte séditieux passible d'emprisonnement alors qu'au Canada, on peut parler d'indépendance du Québec, de la Catalogne ou de l'Écosse et on est protégé par une certaine liberté d'expression», explique Mathieu Boisvert, directeur du Centre d’études et de recherches sur l’Inde, l’Asie du Sud et sa diaspora (CERIAS). 

Malaise et tensions dans la communauté

De son côté, le président de la India Canada Association de Montréal, Chandra Singh, refuse de croire que l’Inde a pu commettre un tel geste. « La plupart des Hindous, on n’a pas aimé ça [l’accusation de Justin Trudeau] », dit-il.

Il craint que cela ne crée des tensions dans les communautés originaires de l’Inde vivant ici.

« Ça fait mal [aux relations]. On est venus ici pour vivre en paix. Tout le monde [dans la communauté] s’appelle depuis hier et se demande ce qui se passe. »

Le malaise était d’ailleurs palpable chez de nombreux Montréalais originaires de l’Inde interpellés par Le Journal dans le quartier Parc-Extension.

Une douzaine d’entre eux ont prétexté ne pas parler anglais [ni français] lorsque nous leur avons présenté le sujet de notre reportage, même s’ils avaient d’abord admis parler la langue de Shakespeare.

« C’est très triste », a réagi un homme s’identifiant comme « M. Patel », mais refusant de donner son nom complet. Il a refusé de répondre à davantage de questions.

Retour sur le conflit entre les sikhs et l'Inde

Les conflits entre la communauté sikhe et le gouvernement de l’Inde ne sont pas nouveaux et durent depuis que cette communauté réclame son indépendance.

« Il y a un mouvement nationaliste et religieux d’autodétermination depuis longtemps des sikhs pour avoir un État indépendant, comme ce qu’on voit au Québec. Mais pour l’Inde, cela représente une menace à l’intégrité du pays et [il] n’accepte pas ce mouvement », soutient John Packer, professeur associé à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa.

Cela fait depuis près de 80 ans que le conflit perdure, explique Mathieu Boisvert, directeur du Centre d’études et de recherches sur l’Inde, l’Asie du Sud et sa diaspora (CERIAS). 

« Ça remonte à l’indépendance et la création de l’Inde et du Pakistan quand les Britanniques ont quitté l’Asie du Sud. En créant ces pays, ils ont scindé le territoire du Punjab entre les deux où la majorité des gens étaient sikhs », explique-t-il.

Finalement, c’est en 1984 que des groupes armés sikhs vont commencer à revendiquer la création du « Khalistan » ou « Pays des Purs », dans la région du Punjab, poursuit M. Boisvert.

« Ensuite, il y a eu l’intervention de l’arme indienne dans le temple d’Or à Amritsar, très important pour les sikhs, et c’est suite à cela que la première ministre indienne Indira Gandhi a été assassinée par ses deux gardes du corps sikhs en 1985 », retrace le professeur de l’UQAM.

Pour illustrer le conflit, John Packer rappelle aussi que des extrémistes sikhs ont été soupçonnés d’avoir mené l’attentat du vol 182 d’Air India, en 1985, où 329 personnes avaient perdu la vie dans l'explosion au-dessus de l'océan Atlantique. Cinq membres de la communauté sikhs de Montréal avaient par ailleurs été arrêtés, puis finalement blanchis.

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