(Québec) Le professeur en droit à l’Université d’Ottawa Benoît Pelletier suit attentivement les travaux de Patrick Taillon. Il constate qu’il a un privilège très « précieux » pour un intellectuel depuis l’arrivée au pouvoir de la CAQ : il a l’oreille de ministres influents au saint des saints.

Ex-député en Outaouais de 1998 à 2008 et ancien ministre sous un gouvernement libéral de Jean Charest, M. Pelletier a en commun avec Patrick Taillon un intérêt marqué pour le droit constitutionnel et la place du Québec au Canada.

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Le professeur en droit à l’Université d’Ottawa Benoît Pelletier

« Patrick Taillon, c’est un nationaliste qui n’a pas peur de faire preuve d’audace et qui avance des idées novatrices. […] Pour remettre en question un certain nombre de dogmes en droit constitutionnel, ça prend des constitutionnalistes qui sont capables de faire preuve de courage et d’avancer des idées qui pourraient déplaire aux tribunaux », explique-t-il.

Au début du millénaire, le premier ministre Bernard Landry tempérait déjà l’enthousiasme du jeune Taillon, dans le contexte où le CNJPQ qu’il présidait proposait d’instaurer un impôt postuniversitaire, pour mener à l’abolition des droits de scolarité, et de permettre la tenue de référendums d’initiative populaire sur la souveraineté.

Mais après des années d’implication active et intense au sein des mouvements étudiants, la défaite du PQ en avril 2003, la fin de ses études en droit à Montréal et l’obtention d’un doctorat à Paris, il est sorti du processus « avec beaucoup moins de convictions qu’en arrivant ».

« C’était surtout libératoire. Le rapport entre les bons et les méchants, ça m’a libéré de ça », affirme M. Taillon.

Se coltailler… au roi 

À l’Université Laval, la professeure en droit constitutionnel et sur les droits des peuples autochtones Geneviève Motard souligne à son tour le caractère « ingénieux » des idées avancées par son collègue, qui utilise « au maximum les incohérences et les ouvertures qu’il y a dans la Constitution » et les explique avec sa « sensibilité hors du commun à la dimension politique du droit ».

En 2020, les deux constitutionnalistes de Québec ont interpellé la Cour suprême du Canada pour qu’elle entende leur cause, alors qu’ils contestaient une loi adoptée sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper, qui changeait les règles de la succession au trône de la monarchie britannique pour permettre à la fille aînée d’un monarque de devenir reine.

À l’époque, même s’ils étaient d’accord avec l’esprit de la loi fédérale, M. Taillon et Mme Motard plaidaient qu’il fallait modifier la Constitution canadienne et déclencher des négociations constitutionnelles pour changer ces règles. Le plus haut tribunal du pays a refusé de se pencher sur cette affaire.

« C’était une défaite marquante, parce que dans ce litige, je resterai toujours animé de la conviction […] d’avoir raison sur le fond. Mais évidemment, [si la Cour suprême nous] donnait raison, c’était plonger le Canada factuellement, politiquement, dans une situation qui n’est pas désirable du point de vue de [ses] intérêts », analyse aujourd’hui M. Taillon.

« Ça convainc des convaincus »

Stéphane Beaulac, professeur en droit international et constitutionnel à l’Université de Montréal, n’est pas toujours convaincu par l’approche de son collègue de Québec. Dans bien des cas, il affirme que M. Taillon met de l’avant des idées qui suscitent l’intérêt, sinon la surprise, et qui s’inscrivent dans une approche méthodologique nationaliste, ce qui se défend.

Il fait les choses correctement, rigoureusement, mais il ne faut pas se leurrer, il le fait, lui et d’autres, dans un objectif de faire avancer des causes qui leur sont chères.

Stéphane Beaulac, professeur en droit international et constitutionnel à l’Université de Montréal

Pour M. Beaulac, « c’est audacieux, ce qu’il met de l’avant, il brasse les choses, mais ça convainc des convaincus ». Dans certains cas, ajoute-t-il, Patrick Taillon s’approche à son avis « dangereusement de la ligne fine des propos académiques de nature démagogique ».

Stéphane Beaulac cite en exemple une récente entrevue au Journal de Québec sur la contestation de la loi 21 sur la laïcité de l’État dans laquelle M. Taillon affirmait qu’il y avait, selon lui, un enjeu dans le fait que les juges de la Cour d’appel soient nommés par le gouvernement fédéral, et soient donc enclins à favoriser les droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés.

« Si on fait la comparaison avec un match de hockey, c’est comme si chaque fois que le Canadien de Montréal affronte les Bruins de Boston, les arbitres, depuis toujours, seraient choisis par le directeur général des Bruins », expliquait Patrick Taillon.

Pour M. Beaulac, cette affirmation reprend un récit « en tous points pareils à celui du premier ministre Legault, [à savoir] que les juges de la Cour d’appel seraient systématiquement biaisés, car nommés par le fédéral – une affirmation condamnée avec véhémence, notamment par le Barreau du Québec – [ce qui] confirme qu’il accepte de jouer le rôle de porte-voix du gouvernement dans le dossier de la clause de dérogation ».

En entrevue, Patrick Taillon défend son indépendance face aux gouvernements et aux partis politiques.

« J’ai une action qui est un peu dans certains angles morts, c’est-à-dire que je ne suis certainement pas journaliste, je ne suis même pas chroniqueur, […] mais je me considère quand même comme une partie du rouage [démocratique]. Il y a des gens qui m’appellent régulièrement et je les aide à faire leur boulot, en apportant un petit plus. Je ne mène pas la même vie que les élus, mais quand ils appellent, de tous les partis, je réponds », dit-il.